Au début, normalement. Par là, je veux dire rationnellement. Je répliquais que c'était encore une invention des laborantins et des grandes firmes pharmaceutiques, ces suceurs de sang, pour nous pomper plus de fric en nous faisant acheter le prochain vaccin à la mode trois fois plus cher que ce qu'il valait. Vous vous souvenez de 2009, le H1N1 ? Bah là, pareil,tout le monde allait commencer à paniquer un peu trop vite. Moi, je venais de récupérer Savannah, ça faisait à peine quelques mois qu'elle habitait chez moi depuis le décès de sa mère. J'avais d'autres chats à fouetter. Et puis, vous savez, j'avais quand même passé cinq ans en Amérique du Sud, avec très peu de moyens, donc je savais (ou croyais savoir) ce que c'est de se débrouiller avec peu de choses, et mon idée était qu'on n'avait pas besoin de nouveaux médocs. Bref, je suis resté calme. Au début seulement. Quelques semaines ont passées et les choses sont devenues beaucoup, beaucoup plus concrètes à mon esprit, et c'est là que tout a basculé.

            J'avais eu la présence d'esprit de nous faire changer d'air : j'avais pris ma fille sous le bras (façon de parler), et traversé le Michigan pour rejoindre Toronto. Quand on habite Détroit, ce n'est pas un voyage très long. Je possédais une petite baraque sur l'autre rive du lac où je me disais que Savannah et moi pourrions passer un peu de temps tous les deux, loin de la "civilisation". Quand la Grande Panique a commencé, j'étais encore le genre de personne qui dînait en laissant la télé allumée sur la chaîne des infos. On en a beaucoup trop vu. Dans un dernier sursaut d'intelligence, j'ai dit à ma fille d'aller frapper chez nos voisins, des gens bien que je fréquentais de loin depuis plusieurs années, et de rester chez eux quelques jours. Je savais ce qui allait m'arriver. Je ne voulais pas qu'elle soit témoin de ça. Quand on dit à un hypocondriaque qu'un virus inconnu a contaminé on ne sait comment tout une partie de la population et qu'on commence à dresser une liste de symptômes plus hallucinants les uns que les autres, il ne faut pas attendre très longtemps pour que celui-ci commence à fondre un câble et à s'imaginer qu'il est gravement atteint. Une fois ma fille en sûreté (pensais-je), de l'autre côté du jardin, je suis resté assis dans le noir, devant mon écran télé allumé, et j'ai commencé à me sentir pourrir de l'intérieur. Pour moi, ça devenait de plus en plus évident que j'étais comme ces gens là, mais que j'avais développé une forme très rare de la maladie, qui prenait plus de temps à se développer. J'ai rapidement fini par perdre la notion d'espace-temps, j'ai arrêté de manger et de dormir après quelques semaines. D'ouvrir la porte quand on frappait. Ca a été encore pire quand j'ai vu par la fenêtre de ma cuisine que la maison de mes voisins avait été incendiée de la cave au grenier. Ca a été pire, parce qu'il m'a fallu plus de deux jours pour réaliser que cet incendie avait vraiment eu lieu, accident ou vandalisme je l'ignorais, mais quoiqu'il en soit, je l'ai réalisé trop tard, et entre temps j'avais oublié que ma fille était chez les voisins à cause de mes lubies de débile mental. Là, j'ai commencé à vraiment partir en vrille.

            C'est difficile à dire. La chance, je dirais. Quand j'ai réalisé que ma fille était morte dans cet incendie, il m'a fallu quelques jours supplémentaires pour prendre en compte les dernières recommandations radio des autorités locales : aller plus au Nord. Il y avait des moments où j'étais un peu plus lucide qu'à d'autres. Je me souviens que j'ai pris ma voiture et que j'ai roulé, je ne sais pas trop comment, sans m'arrêter pendant un temps indéterminé. Ca n'a pas été facile. J'étais fébrile et de plus en plus malade. Je ne me suis pas arrêté à Montréal, j'ai pris les chemins qui passaient par de plus petites villes parce que j'espérais croiser le moins de monde possible. Plus je verrais de gens, plus je penserais que la contamination s'aggraverait, plus je dépérirais. Je trouvais de l'essence dans des stations désertées, au début c'était bien plus simple que maintenant. Mais, au bout d'un moment, j'ai perdu toute logique, et j'ai abandonné ma voiture je ne sais où pour continuer à pied. Je m'évanouissais plusieurs fois par jour. C'est un miracle qu'aucun contaminé ne se soit nourri sur moi pendant que j'étais HS. Encore aujourd'hui, j'ai perdu la mémoire d'au moins deux mois de mon existence. Je ne sais pas comment je me suis traîné jusqu'à Coaticook. Je sais seulement avec quel "groupe" j'y suis arrivé, avant que les Protecteurs me trouvent et me secourent. J'avais suivi sans vraiment m'y mêler une horde restreinte de contaminés. Je crois qu'ils ne m'ont pas repéré parce qu'en plus de garder mes distance et de marcher aussi lentement qu'eux (douleurs articulaires ou feinte d'une surprenante clairvoyance de ma part, je ne saurais m'en rappeler), j'étais aussi tombé, quelques heures avant de leur emboîter le pas, dans une espèce de cuve infâme où croupissaient deux dizaines d'entre eux, vraiment morts, ainsi que d'autres éléments nauséabonds dont je ne préfère pas me souvenir : bref, je ne sentais pas l'humain à proprement parler. Quand les Protecteurs m'ont trouvé, j'étais d'ailleurs certain d'avoir passé des semaines entières à suivre cette horde. En réalité ça faisait moins de deux jours. Mais je croyais que j'étais des leurs. En revanche, depuis que je vais mieux et que je fais partie du groupe, et surtout depuis que j'ai retrouvé ma fille, je suis beaucoup moins sujet aux pertes de mémoire et autres hallucinations. C'est avec eux que je me suis déplacé jusqu'à Trois-Rivières, où nous nous trouvons actuellement. C'est ça, mon plan pour passer l'hiver : rester en groupe, continuer d'avancer.

            Non. Ou alors, si je l'ai fait, je ne m'en souviens pas, et ce fut entièrement accidentel. Vous savez, comme je vous le disais, je n'ai pas été complètement moi-même pendant plus de deux mois. J'ai fait des blackout. Je ne sais même pas comment je me suis nourri. Si les Protecteurs ne m'avaient pas trouvé, je n'aurais sans doute pas tenu 48h de plus et serais très probablement mort d'épuisement ou dévoré par la horde que j'avais entrepris de suivre et qui aurait bien fini par me repérer à un moment ou un autre. Après, si la question était différente, s'il s'agissait de savoir si je pourrais tuer un humain, la réponse est oui. Je ne dis pas que ce serait facile. Mais je n'étais déjà pas à proprement parler quelqu'un de bien avant que tout ça ne commence ; maintenant que j'ai de bonnes raison d'être individualiste, je doute d'avoir beaucoup de scrupules en cas de danger imminent.


                   

                   

▪▪ Pseudo : MB ▪▪ Âge : 22 ▪▪ Présence sur une échelle de 1 à 20 : 15 ▪▪ Comment avez-vous connu le forum? Sur un top ▪▪ Qu'est-ce qui vous a poussé à vous inscrire ? La qualité du style d'écriture, pour ce que j'ai pu en voir ▪▪ Qu'est-ce qui vous a rebuté ? Rien... Ca fait bizarre que les profils soient à droite et le texte à gauche, mais je m'en remettrai ! ▪▪ Quelque chose à ajouter? Ca devait faire genre deux ans que je n'avais pas cherché de code de règlement, j'suis un peu rouillé, haha ! ▪▪
           

                    © nowgamer

Un Alter passa devant la carcasse de ferraille déglinguée qu'il habitait depuis une journée ou deux. Ca se sent à des mètres à la ronde, ces machins-là. Une odeur de pluie, de poudre et de sueur. Ils puent. Il s'encastra au mieux dans le siège éventré et ne fit aucun geste, pour ne pas être repéré par ce spectre aux yeux gluants. Il pensait être une statue assez convaincante pour obtenir la paix. Il était devenu fort à ce petit jeu. Il avait compris qu'aucun Alter ne lui chercherait querelle s'il ne bougeait pas. Au moindre mouvement de bras, au moindre râle, ces bêtes sanguinaires n'hésitaient pas à vous sauter dessus. Il avait déjà perdu pas mal de compagnons de route. Bizarrement, les autres faisaient la sourde oreille à chaque fois qu'il leur conseillait de ne pas attirer l'attention des Alter. D'ailleurs, il ne se souvenait plus de la dernière fois qu'un des siens lui avait adressé la parole. Le froid avait recouvert le paysage environnant d'un glacis immuable qui semblait pouvoir passer l'épiderme et s'infiltrer jusqu'au creux des os. C'était parce que tout le monde avait froid qu'on ne parlait plus. Mieux valait employer à meilleur escient le peu d'énergie qu'il nous restait. Avancer. Se traîner toujours plus en-avant. Invinciblement, inexorablement. Qu'espérait-on trouver ? D'autres villes ébranlées, d'autres Alter assoiffés, d'autres caniveaux où geindre ? Lui, il suivait le mouvement, sans trop savoir pourquoi. Il sentait seulement qu'il était utile. Et alors même que l'Alter vagabond passa devant l'épave de voiture sans le remarquer, il vit, dans le rétroviseur, l'un des siens (qu'il surnommait Freddie à part lui, faute de connaître son nom), sortir d'un bâtiment délabré et se diriger droit sur l'ennemi. L'Alter tendit son bras métallique dans sa direction, comme pour attraper Freddie à la gorge, mais il ne le ferait pas, bien sûr que non. Les Alter ne nous étranglent pas. On entendit une détonation prodigieuse, et puis un bruit de gravillons tombés à terre, c'était la cervelle de Freddie qui se répandait sur le sol en petits caillots durs. L'Alter rangea son revolver dans un étui qu'il avait à la ceinture, et s'en alla à petites foulées. L'effroi avait figé sur place notre ami. Demain, il aurait honte de ne pas avoir aidé Freddie à s'en sortir. Pour le moment, il ouvrait grands les yeux et fixait le petit point sombre dans le rétroviseur, la silhouette de l'Alter qui s'éloignait, tournait au coin de la rue, disparaissait. Mais même quand il ne le vit plus il eut encore peur qu'il revienne sur ses pas. Les criminels reviennent sur le lieu du crime, on dit. Il ne revenait pas, mais il attendit encore. Encore, à s'en assécher les globes oculaires à force de regarder dans le rétroviseur. Le bruit de la détonation et de la cervelle éclatée de Freddie se rejoua mille fois dans sa tête avant qu'il trouve le courage de sortir de sa planque. Il se courba et se traîna, littéralement ventre à terre, lentement, jusqu'au corps inerte de Freddie. Il mit encore cinq minutes avant de se décider à se redresser. A genoux devant le cadavre, il s'accusa intérieurement de sa lâcheté, de son ignominie, de sa bassesse d'âme. Il n'eut guère le temps de s'apercevoir qu'il pleurait doucement, de pleurs silencieux et maladifs, quand il entendit un bruit significatif derrière lui et sentit soudain contre sa tempe le froid cruel d'un canon de revolver. L'Alter était finalement revenu. Et maintenant il allait le tuer. Ses larmes mélangées à de la poussière lui dévoraient la peau du visage par leur chaleur excessive, mais, au fond, l'idée de recevoir une balle dans le crâne lui convenait. Il était un peu peiné que ce soit un Alter qui mette fin à sa lente décrépitude, mais soulagé, quand même. Il ferma les yeux, presque content. Mais l'Alter se mit à crier à voix basse, et à nouveau il trembla de peur. L'Alter en appelait d'autres. Et le bruit de leurs pas qui accouraient était horrifiant.
"Putain les gars, il est vivant... de loin j'avais cru... Ca va mon vieux ? T'es vivant en fait !"
Je suis quoi ? Il continuait de trembler, sans comprendre. Deux Alter l'attrapèrent par les bras et le relevèrent. Il se mit à gémir d'effroi, faiblement.
"Ca fait combien de temps que t'es tout seul dehors ? C'est toi qui as tué celui-là ?"
Il désignait Freddie. Est-ce qu'il avait tué Freddie ? Pourquoi aurait-il fait une chose pareille ? Et pourquoi cet Alter se mettait à lui parler ? D'habitude, les Alter ne parlaient pas aux gens comme lui. Ils se contentaient de leur planter un objet pointu dans le crâne, ou de les abattre à bout de bras, comme l'autre l'avait fait avec Freddie. Un Alter fouilla dans les poches de sa veste et en extirpa des papiers.
"Il s'appelle Basile Hickens, il était prof, avant. C'est tout.
— On va l'emmener. Il a pas l'air en état de nous dire d'où il vient et s'il fait partie d'un groupe, mais je suis prêt à parier qu'il n'a pas côtoyé d'humain depuis un bon bout de temps..."
Humain. Le terme lui tomba dans la tête comme un caillou inadapté. Ca lui vrilla quelques neurones au passage. Humain. Tandis que les Alter le conduisaient il ne savait où, sans qu'il ait l'énergie suffisante pour se débattre, il retourna le mot dans son esprit, incertain de réussir à en retrouver le sens exact. De très loin, il comprenait ce qu'on lui disait, mais c'était comme si les mots n'avaient plus sur lui aucune prise. Seulement ce mot : humain. Lui, il avait du poids, une résonnance, un écho, même lointain. Humain. Ca avait l'air bien.


"Je m'appelle Basile Hickens. Vous pouvez m'appeler Hicks, parce que monsieur c'est pour les vieux du Rectorat. Les autres profs vont vous parler de la chimie en vous expliquant comment elle peut faire progresser l'humanité. Je leur laisse cet aspect de la matière très volontiers. Avec moi, vous allez apprendre pourquoi la chimie est une sale petite trainée de bas étage qui va gentiment détruire l'humanité."
Préambule somme toute réussi, à en juger par les airs éberlués de ses étudiants de première année. Il les laissa mijoter quelques instants, finissant de se rouler une clope qu'il avait l'intention de fumer après le cours. Les administrateurs de l'Université où il enseignait depuis plusieurs années fermaient les yeux sur ses manières désinvoltes et son style d'enseignement relativement inspiré, parce qu'il était le prof de chimie dont les étudiants avaient, à la fin du semestre, les meilleurs résultats.
"Soit dit en passant, poursuivit-il, la chimie c'est pour les abrutis. J'espère que vous lisez des bouquins, que vous allez au cinéma, que vous vivez, parce que personne ne peut réellement comprendre cette matière en se contentant d'apprendre par cœur des suites de calculs, et il faut être un véritable a-bru-ti pour espérer tirer quoique ce soit d'utile des manuels scolaires qu'on vous a dit d'acheter en début d'année. Commencez à expérimenter et à penser par vous-mêmes, ça vous fera du bien. D'ailleurs, on va tout de suite passer à la pratique."
Il sortit un exemplaire du fameux manuel scolaire qu'il avait dans sa sacoche, et, à l'aide de son briquet, il y mit le feu.
"Comment puis-je éteindre ça avec uniquement les éléments que j'ai disposés sur vos paillasses ? Jeune homme, quoique vous vous apprêtiez à dire, taisez-vous, je ne m'adresse pas aux personnes qui lèvent la main alors que nous sommes en situation d'urgence... Bien, je vous laisse vous occuper de ça, on se revoit après la pause déjeuner !"
Il quitta le laboratoire, mains dans les poches, laissant ses étudiants en panique se munir (très certainement) de l'extincteur du fond de la salle pour arrêter ce mini-début d'incendie puis (sans doute) aller se plaindre au doyen de la faculté de ce premier cours apocalyptique. Choquer ses étudiants et impatienter le doyen était non seulement un passe-temps de premier choix pour Basile Hickens, mais aussi une absolue nécessité pour inculquer quoique ce soit à ces petits enfants sans cervelle. Il n'entendait pas enseigner la chimie autrement qu'en les poussant à remettre en question les règles établies et à comprendre qu'en cas d'urgence la bienséance et la politesse sont inutiles. La chimie, ça implique de comprendre ce que c'est que d'être sur le qui-vive. C'est à cause d'elle qu'un jour le monde basculerait dans un chaos incommensurable, Hicks en était persuadé. Mieux valait s'y préparer.


On n'ira pas jusqu'à dire qu'il était devenu une légende au sein du groupe, mais du moins, dès les premiers temps de son intégration, son histoire, qu'on ne faisait que deviner indistinctement, avait fait parler de lui. C'est cette aura macabre qui le précède désormais et que, peut-être même, il entretient, non sans une certaine dose d'humour noir. Comprenez : les gens ont toujours eu besoin de s'entendre raconter des choses sensationnelles. On aurait pu croire qu'avec les récents évènements, tout le monde aurait été vacciné, mais non. C'est la grande force des êtres humains, après tout, de pouvoir continuer à imaginer des scénarii fantasques, capables de les faire s'évader du quotidien au moins par la pensée. Aussi l'arrivée de Hicks avait-elle fourni matière à se divertir à mots couverts. Certains ont prétendu qu'il avait passé un mois entier avec les infectés et qu'il s'était fait accepter par eux comme un de leurs frères. D'autres ont renchéri en supposant qu'il avait réussi à entrer en communication avec eux par des ultrasons spéciaux (Hicks possède précisément un sifflet pour chiens, qu'il garde toujours en poche comme s'il s'agissait d'un talisman), voire qu'il les contrôlait grâce à ces mêmes ultrasons. Les moins crédules ont alors répliqué que tout ceci n'était que foutaises, mais qu'en revanche il avait probablement un sang particulier qui faisait un effet repoussoir sur les infectés, si bien qu'il ne serait jamais attaqué par eux. Hicks n'a d'ailleurs démenti que cette dernière hypothèse, soucieux à l'idée que le groupe décide de la vérifier en l'égorgeant comme un cochon pour le vider de son soi-disant précieux sang. Pour le reste, il considère qu'être l'homme mystérieux du groupe ne risque pas lui nuire ; il laisse sans rechigner ses nouveaux camarades se poser des questions sur la façon dont il avait bien pu survivre auprès de cette horde d'infectés. En fait, ça lui va comme un gant, cette réputation d'homme qui murmure à l'oreille des zombies, loufoque à souhait. Malheureusement pour lui, la réalité de son état est beaucoup plus préoccupante qu'il le laisse paraître. Aujourd'hui encore, il n'arrive pas à se persuader qu'il est totalement normal : il croit toujours qu'il est infecté mais il pense que la maladie est en sommeil au fond de lui, comme un vieux volcan en quelque sorte.
Ca ne va pas. Je peux pas parler, la langue me colle au palais. Je ne sais ni où je me trouve ni ce que je fais là. Par moments ça me revient : je dis à la fille que c'est inutile de gâcher des médicaments pour moi, que c'est incurable. Enfin je crois le lui dire, mais j'ai l'impression qu'elle ne me comprend pas. Pour moi ce sont tous des Alter. Je ne peux pas avoir confiance en eux, même si j'imagine que je leur dois la vie. Qu'est-ce que ça signifie ? Qu'est-ce qu'être en vie peut bien vouloir dire aujourd'hui ? Je ne sais même plus ce qu'il faut que je souhaite. Me foutre en l'air avec la première arme que je trouverai ? Non. Si je me rate et que je me lobotomise je ne serai plus utile à rien. C'est important, d'être utile. Il y a une paire d'yeux à côté de la table sur laquelle je suis étendu. Pas constamment. Ces yeux me guettent et s'en vont dans les moments les plus obscurs, lorsque je me perds dans les méandres de mon propre psychisme... mais qu'est-ce que je raconte ? Secoue-toi ! Tu les connais, ces deux iris bleues qui t'échappent si souvent ! Je crois qu'à un moment j'ai essayé de tendre le bras pour les saisir, pour prendre ce visage brumeux et ces yeux dans ma main, mais la fille, celle qui me soigne, elle réapparaissait devant moi et faisait écran. Sans articuler je me suis mis à l'insulter. Elle n'a pas pu en être fâchée car j'étais inintelligible. Mais à ce moment précis je la haïssais. Ou bien c'était moi. Que je haïssais. C'était moi. Souvent, je me hais.