Comment avez vous réagi, en fin d'année dernière et au début de cette année, quand les rumeurs d'épidémies se multipliaient autour de vous ? Des épidémies, c'est déjà arrivé. Et puis, ça touche toujours les autres, jamais nous. J'avais ma vie à vivre et pas le temps de m'occuper d'un problème remis entre les mains des chercheurs et du gouvernement. Comme tout le monde ou presque, je leur ai fait confiance, persuadée qu'ils allaient contenir le virus en peu de temps. Mais la situation s'est vite révélée différente de toutes les épidémies qu'on ait connues auparavant. Et mon père a pris les devants. C'est lorsque je l'ai vu se bouger que j'ai compris. Que les autres, c'était potentiellement nous. Que l'ampleur de la crise inquiétait mon père. Et que si mon père était inquiet, alors j'avais le droit de m'inquiéter aussi. En fait, je devais m'inquiéter. C'était inhabituel de le voir si tendu. Mais je lui ai fait confiance, et lorsqu'il m'a annoncé qu'on partait, je n'ai pas hésité une seconde avant de m'embarquer à ses côtés. Lorsqu'il s'agit de vie ou de mort, on rigole plus.

Où étiez vous au moment où la Grande Panique a débuté début juillet, et comment y avez vous survécu ? Je n'étais même plus chez moi. Mon père a très vite réagi et m'a emmené dans sa voiture, armé d'un seul fusil et de bidons d'essence. Les vivres se sont vite épuisées, et tandis qu'on filait vers le nord comme 99% de la population encore à peu près saine, on pillait les magasins, dormait très peu et tentait de survivre coûte que coûte. J'ai tué mon premier zombie. Je n'ai jamais vécu dans une telle incertitude de toute ma vie, mais au moins, j'avais mon père à mes côtés. Sa présence a été comme un pilier autour duquel je pouvais me reposer, et fonder mes espoirs. Tant qu'il était avec moi, je survivrai.

Comment êtes vous arrivé à Coaticook et ses environs ? Quel est votre plan de survie, à court terme ? Il n'y a que dans les contes de fées que le cheval galope des lustres sans jamais se fatiguer. Sur le chemin du Nord, nos bidons d'essence ont finalement rendu leur dernière goutte et on s'est retrouvé aux alentours du village, sans pouvoir continuer plus loin. Mon père avait décidé de s'y arrêter pour réfléchir à la suite du programme quand on a rencontré d'autres survivants. J'ai été vraiment soulagée de voir d'autres êtres humains clairs d'esprit. Finalement un petit groupe s'est constitué avec mon père au centre, à défaut de trouver quelqu'un d'autre. Ensemble, il était possible qu'on survive, en rationnant nos vivres et en se serrant les coudes. Ce semblant de stabilité, après des semaines d'errance, était bienvenu. J'ai foi en notre groupe et je fais confiance à mon père quant à ses capacités de chef, mais ce boulot commence à l'occuper un peu trop à mon goût...

[spoiler="A finir"]Rien ne laissait présager un avenir si sombre. Lorsque je suis née dans une clinique de Miami un certain 2 mars 1998, ma famille avait tout d'une famille normale. Mon père rayonnait, ma mère aussi et moi j'étais blottie dans ses bras protecteurs, couverte de leur regard aimant. J'ai grandi paisiblement à leurs côtés, gâtée et choyée au possible, étant fille unique. Mon père travaillait en tant que chirurgien esthétique dans une clinique privée et ma mère avait un travail à mi-temps pour avoir le temps de s'occuper de moi. Ainsi, nos revenus étaient assez considérables et nous pouvions nous permettre un bon niveau de vie. Ce que je n'aurais pas donné pour qu'on en reste là...

A l'aube de mes onze ans, je sentis une tension nouvelle au sein de la famille, d'abord presque imperceptible puis de plus en plus évidente jusqu'au jour où s'en fut trop. Mes parents enchaînaient disputes sur disputes et moi au milieu, j'essayai de crier encore plus fort pour me faire entendre. Je voulais juste que tout redevienne comme avant. Qu'ils arrêtent de se disputer pour un oui ou pour un non. Qu'on retrouve notre famille modèle que j'avais connue. Mais malgré moi, je voyais bien que cette famille là était perdue à jamais, et que plus rien ne serait comme avant. J'ai pourtant espéré jusqu'au dernier moment pouvoir éviter l'inévitable.

Ils brisé mon monde. En milliers de petits morceaux irréparables. Une fois le divorce officialisé, mon père a gardé la maison et je suis partie avec ma mère vivre plus loin, dans une bourgade de Floride. J'ai piqué une crise contre ma mère qui voulait me cacher les raisons de leur séparation. Mais elle a fini par céder à mon caprice, ce qu'elle a toujours fait par la suite, et m'a révélé tout simplement que "Papa et Maman ne s'entendaient plus comme avant." Malgré mon jeune âge, je n'ai pu m'empêcher de répliquer vertement que, oui merci, j'avais déjà remarqué ça. Elle ajouta par la suite que le travail de mon père l'occupait trop et qu'il mettait de côté de sa famille à cause de son emploi du temps surchargé. Moi je n'avais jamais pensé une chose pareille. Je trouvais au contraire que mon père gérait très bien sa vie familiale. C'est peut être à ce moment-là qu'un vague mépris pour ma mère s'est formé en moi et qu'il m'a donné envie de lui en faire baver. Elle était pitoyable. Rejeter la faute sur mon père, parce qu'elle n'assumait pas de ne plus avoir de sentiments. C'est la seule conclusion que j'ai pu tirer. Et à laquelle je suis toujours plus ou moins rattachée.

J'ai tenu ma promesse de lui en faire voir de toutes les couleurs, et ma mère a bien souffert je pense, en plus d'avoir un travail à plein temps désormais. Si au début elle a tenté de faire taire mes caprices en douceur, rapidement, elle a craqué et me criait dessus comme elle le faisait sur mon père. Je lui répondais sur le même ton et au fil du temps, mon innocence d'enfant a disparu et j'ai mûrit très vite, apprenant à me débrouiller avec le moins de contact possible avec ma mère. Je ne voyais presque plus mon père.

N'y tenant plus, ma mère m'a envoyé l'été de mes quatorze ans chez mon père, pour pouvoir se changer les idées. J'étais plutôt contente de mon côté aussi, de pouvoir m'éloigner un temps de ma mère et retrouver mon père qui m'avait manqué. Ce fût l'une des plus belles vacances de ma vie. Mon père m'emmenait au cinéma, manger au restaurant ou faire du shopping presque tous les jours, je pouvais inviter mes amies du collège pour traîner en ville ou rester à la maison... Toutes ces petites choses que ma mère ne me donnait pas l'occasion de faire par manque de temps - et surtout d'envie à mon avis. Et puisque j'étais heureuse, je le montrais bien à mon père, en me tenant sage comme jamais. Mais l'été est passé bien trop vite. Après ça, je ne me voyais absolument pas retourner à ma vie maussade d'avant et j'ai demandé expressément à rester auprès de mon père, requête immédiatement acceptée par ma mère avec soulagement et par mon père avec joie.

Sauf que l'été, c'est sympa et amusant mais dès qu'il faut reprendre les cours, c'est tout de suite moins drôle. Ma nature caractérielle reprenant le dessus, j'ai recommencé à me faire exécrable, mais mon père a tenu le coup. J'étais pourtant persuadée qu'il finirait par me renvoyer chez ma mère, mais il ne l'a jamais fait. Il s'est accroché, s'est montré ferme mais ne m'a jamais menacé de me renvoyer. Sûrement parce qu'il était trop heureux de m'avoir de nouveau à ses côtés. Intérieurement, j'ai été touchée par cette marque d'affection à peine dissimulée. Il y avait bien longtemps qu'on ne m'en avait pas montrée.

Au lycée, j'ai commencé à vouloir contrarier mon père en sortant de manière abusive et en fréquentant des gens pas forcément bien vus. J'avais juste envie de l'énerver. Ca n'a pas aussi bien fonctionné que je le pensais mais il s'est plusieurs fois emporté.  J'avais seulement envie de nouvelles expériences et quitte à pouvoir embêter mon père par la même occasion...  Mais la rigolade fut de courte durée.

Cette épidémie d'abord anodine, qui a rapidement proliféré a tout bouleversé. Avant même que la plupart des gens ne réagissent, mon père m'a embarqué dans son 4x4 et a filé vers le Nord. Il n'a emmené qu'un fusil de chasse et des bidons d'essence en plus de nos maigres provisions. C'était une véritable aventure, mais elle n'avait rien de ce que je m'évoquais en pensant au mot "aventure". Ici, tout c'était que terreur et survie. Mon père n'a jamais voulu qu'on aide qui que ce soit sur la route. Seulement, il a fini par céder devant une pauvre femme avec un enfant dans les bras. Prudent, il m'a demandé de rester dans la voiture, pendant qu'il allait les aider. C'était cette précaution qui avait atténué les conséquences son erreur.

Jamais je n'ai réagit aussi instinctivement. Et jamais, je n'avais vu un zombie d'aussi près. Tandis que je montais la garde tant bien que mal dans la voiture, un mort-vivant sorti de nulle part a soudain attaqué mon père et les deux rescapés. Sans armes, ils n'ont pas pu se défendre, et mon sang n'a fait qu'un tour. J'ai saisi le fusil sur la banquette passager et, visant approximativement, j'ai tiré. Coup de chance ou de hasard, la balle a percuté le zombie sans blesser le trois autres. Mais je voulais m'assurer qu'il ne soit plus en état de combattre, qu'il meure si cela était encore possible. J'ai tiré encore trois coups successifs sur le zombie, et il a fini par lâcher mon père. Celui-ci s'est précipité dans la voiture en profitant de la brèche et a démarré au quart de tour. Je n'ai pas pu m'empêcher de me retourner, voir les deux inconnus se débattre désespérément contre la créature, et me sentir soulagée pour mon père.

Mon père m'a autant remercié pour des raisons évidentes que réprimandé pour avoir gâché des munitions. Mais je n'ai rien répliqué. En ayant failli le perdre, je me suis rendue compte que je ne pouvais justement pas le perdre. Il m'était trop précieux. Au fil de notre périple, à force de vivre ensemble dans la peur du lendemain, nous avons fini par renouer des liens "normaux" entre un père et sa fille. C'était bien le seul point positif de cette expérience.

Lorsque nous sommes tombés à court d'essence, mon père a décidé de s'arrêter dans un village des environs, pour réfléchir à la suite. Mais nous y avons rencontré d'autres survivants et finalement, un groupe s'est formé et nous avons en quelque sorte élu domicile dans ce village. Les gens ont eu l'air de voir en mon père, un chef pour ce groupe, et il s'est retrouvé acquitté de cette tâche un peu malgré lui. Si au début cette "promotion" ne m'a pas gêné, plus le temps avançait, plus les choses se sont corsées et plus notre entende encore neuve s'est dégradée. Comme au lycée, j'ai repris mes mauvaises habitudes, mais cette fois le contexte était tout autre...
   

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