Comment avez vous réagi, en fin d'année dernière et au début de cette année, quand les rumeurs d'épidémies se multipliaient autour de vous ? J'ai été deux ans dans un lycée en Californie, près de Beverly Hills, alors les rumeurs pour être honnête, ça rentre et ça ressort aussitôt. J'étais en France à cette époque et j'allais prendre l'avion pour rentrer voir ma famille à Trois-Rivières au Canada. De ce fait, j'y ai prêté une sourde oreille mais sans vraiment y faire plus que ça attention. Entre les guerres du Moyen-Orient, les intifadas et compagnie, le monde n'allait déjà pas bien, je ne me faisais guerre d'illusion. Je venais de passer six mois en France, et je rentrais enfin voir ma famille au Canada, il n'y a vraiment que ça qui comptait.

Les fêtes de Noël ont cependant passé, et une fois que mon esprit était à peu près ouvert aux mauvaises nouvelles, dès les premières semaines de janvier, ce qui a vraiment commencé à m'inquiéter c'était la multiplication de cas.

Où étiez vous au moment où la Grande Panique a débuté début juillet, et comment y avez vous survécu ? Cela faisait un mois que j'étais de retour pour les vacances d'été après mon dernier stage éprouvant à Miami en Floride.. Bon d'accord, j'avoue j'étais en échange universitaire, c'était carrément cool. Ayant bien profité du soleil, je profitais d'autant plus de nos vacances en famille à Trois-Rivières dans notre villa familiale autour de la piscine. Il faisait suffisamment chaud cette année là pour qu'on puisse en profiter. La Grande Panique a commencé au milieu du mois quand l'aéroport de Montréal a été fermé. En contact avec mes parents qui étaient à New-York à ce moment là, ils nous avaient dit de ne pas bouger de la maison. Ce jour-là il n'y avait que Luvya, Yvan et moi. Fiona était partie en weekend sur Québec, et Irina avait décidé de prendre une semaine de vacances avec sa famille en Californie. Je ne savais pas que le jour où mes soeurs sont parties et mes parents nous ont dit au revoir à l'aéroport c'était la dernière fois que je les verrais.

Les jours ont passés, les vivres manquaient, ma soeur de 12 ans commençait à paniquer sévèrement et Yvan prit la décision qu'il fallait qu'on bouge. On voyait les populations commençaient à migrer vers le Nord, comme tout le monde l'avait dit. On a donc fait des valises maigres avec ce qu'on pouvait encore conserver en vivres et des vêtements, des armes blanches et une arme à feu que Yvan gardait précieusement et nous sommes partis. La voiture, nous avions oubliés. Nous avons laissé un mot à nos parents au cas où. Et la marche a commencé pour nous.  

Comment êtes vous arrivé à Coaticook et ses environs ? Quel est votre plan de survie, à court terme ? Miraculeusement, nous sommes encore tous les trois. Je crois que peu de gens peuvent dire ça sérieusement. Ok, Fiona et Irina sont très certainement mortes ou contaminés, et mes parents n'en parlons pas.

Nous avons marché pendant plusieurs jours sans nous arrêter, seulement une fois qu'on trouvait un endroit presque sur pour dormir. Nous nous arrêtions, et Yvan et moi on faisait des tours de rôle pour monter la garde au cas où. Nous n'avions pas encore croisé de personnes contaminés, nous prenions les chemins de traverses. Les champs, nous suivions la carte tant bien que mal. Nous marchions vers le Coaticook. Puis nous sommes tombés sur un groupe de quelques personnes, et nous avons après avoir montré patte blanche comme la neige, pu continuer avec eux. Le but était de rallier Coaticook. Nous en sommes plus très loin. A court terme, je protège Luvya et Yvan me protègent. Nous avançons avec le groupe, je reste méfiante bien sur. Partageant mes savoirs faire, ce que je peux aider dans le groupe.

« Monsieur et Madame Gordov Igor et Tatiana, son frère Yvan et sa sœur Irina, ont la joie de vous annoncer la naissance de Katarina Yulia Gordova, le 4 Juin 1992 à 18h23 à Paris. Elle fait déjà la joie de ses frères et sœurs, et de ses parents. » Je retournais la carte encore. Quelques petits mots qui annonçaient un bonheur dans une fille. Il en manquait encore deux. Fiona naissait en 1994 en Russie et Luvya est née en fin d’année 2002 en Afrique du Sud. Mes parents étaient de grands voyageurs. Mon père et ma mère, russes d’origine avaient immigré en France par chance suite au fait des idées politiques de leurs parents. Deux familles ensemble, ils étaient fils et fille unique, et leurs parents étaient amis, ils se connaissent depuis qu’ils ont à peu près dix ans. Le monde communiste et compagnie n’avait pas été à leur faveur. Bref, au-delà de ça, j’étais née en France un an et demi après Yvan et 4 ans après Irina. Je ne suis pas restée longtemps à Paris (mais j’y reviendrai, ou du moins, je reviendrai en France par la suite.) J’avais hérité de la nationalité française par don du sol et de la naturalisation de mes deux parents.

Mon père a eu une occasion pour la Russie à la fin de la guerre froide, dans le cadre du développement des entreprises à St Pétersbourg, notamment dans les énergies pétrolières. J’avais à peine un an et demi quand nous arrivions là-bas. L’avantage de mon père était qu’à défaut d’avoir quitté le pays jeune, le Russe avait toujours été parlé dans sa maison. Et ça avait été l’occasion pour lui de saisir cette opportunité et que l’on déménagea. Ma sœur, Fiona, naquit là-bas en décembre 1994. Dans la belle ville de St Pétersbourg, nous y vivions pendant sept ans. Là-bas, j’appris la vie que l’on avait n’était qu’une bulle dorée. Nous avions le statut d’expatriés, ce qui nous protégeait dans un monde victime de nombreux stigmates de la Guerre Froide. Je m’en rendrais compte peut-être un peu plus tard, pour le moment j’évoluais dans mon petit monde. En début d’année 2000, nous partions pour un tout autre univers, et la famille Gordov avec leurs quatre enfants, et un quatrième en cours de préparation dans les idées étranges de mes parents, et nous voilà en Afrique du Sud. La firme pour laquelle travaillait mon père avait besoin de grosses têtes et ainsi l’occasion prise, il ne dit pas non. Luvya naquit au milieu de l’année 2002, courant juillet. Bref, notre vie continuait. Nous restions peut-être seulement deux ans, avant que mes parents décident de tout plaquer et d’aller découvrir la Californie en reprenant de zéro en créant leur propre boite. Un truc étrange franco-russe, mais qui sans être un grand succès nous permis de vivre. Pourquoi la Californie ? Parce que franchement après la France, la Russie, l’Afrique du Sud… Vous voulez une logique ?! En Californie, je découvrais le lycée américain par toutes ses couleurs. Vous savez les pompons, les joueurs de soccer, les geeks… Bref, les stéréotypes quoi. Même si je vous rassure la plupart des gens sont normaux.

Les années passèrent, et se ressemblèrent, jusqu’à un matin à l’aube de mon bac (bon un peu avant, au moment de mon orientation), ayant hérité de l’âme voyageuse de mes parents, je décidais de vouloir faire mes études dans la belle ville de Paris. Rho, vous savez c’est un beau rêve. Je finirai à Reims pendant deux ans avant d’intégrer une fac en troisième année à Paris. Ma grand-mère maternelle vivant encore, elle m’accueillait les bras grand ouvert et me soutenait. Et la vie étudiante, commençait sérieusement. Première, deuxième, troisième année faite en économie et gestion administrative, je passais les concours d’école de commerce, et je fis ma première année de Master en Management et Compétence. Nous sommes alors en septembre 2014 quand je décide de prendre une pause, une année pour augmenter mon capital « professionnel ». Premier stage à Paris pendant quatre petits mois. Et puis, un retour au Canada, où mes parents ont décidé de s’établir en reprenant une vie stable après, métro boulot dodo à Trois-Rivières, ok d’accord sans le métro, depuis trois ans après avoir revendu leurs fonds de commerce, et ayant essayé d’éponger leurs dettes tant bien que mal avec ce qu’ils avaient. Allez les comprendre, mais nous n’étions pas à plaindre. Je ne comprenais pas trop ce qu’ils voulaient faire  50 ans passés avec une enfant de 11 ans, et trois étudiants, et une jeune femme prête à se marier. Ma grande sœur se mariait en décembre 2014, enceinte de trois mois déjà. Le mariage fut magnifique. Même si le monde commençait à craindre à une panique à bord. Mais, nous ne voulions pas nous laisser assiéger. Ma grand-mère avait pris l’avion avec moi, jusqu’à Montréal pour pouvoir assister à cet événement. Noël, Nouvel An. Puis un échange universitaire à Miami. Farniente et soleil pendant six mois.  

En juillet 2015, ma nièce avait 2 mois, ma sœur fêtait ses 12 ans, et nous étions heureux à la maison. Nous étions tous les trois, Luvya et Yvan étaient restés à la maison. Ma vie était voyage, j’aimais ça, et j’avais hâte, j’étais censée reprendre l’avion le 16 aout, pour retourner en France, profiter de ma dernière année. C’est à ce moment-là que le monde a décidé de devenir fou. Mes parents étaient partis à une escapade à New York en voiture dans le but de découvrir un peu cette partie des Etats-Unis qu’il n’avait pas encore vus. Fiona était chez une amie, et par communication en SMS, je lui conseillais de rester avec elle. Elle se trouvait à Québec. Irina était avec sa famille à Montréal, et je n’arrivais pas à avoir de nouvelles. On se barricadait à l’intérieur, comme pour se protéger. Sauf qu’un moment où tout commence à s’écrouler, on voit des gens affolés dans la rue. On ne comprend pas. Un matin, mon frère débarque dans ma chambre, Luvya dort encore contre : « Fais ton sac, avec Luvya on part. On va vers Coaticook. On va finir par mourir ici. » me dit-il simplement. Yvan a toujours été mon référent même des milliers de kilomètres. Et je savais que s’il disait ça, c’était qu’il y avait une raison. Nos maisons en quartiers résidentiels, avaient été un peu épargné, mais pour combien de temps. Je faisais mon sac en mettant des effets personnels, mais surtout de quoi survivre. Je ne savais même pas où nous partions. J’écrivais juste un mot à mes parents, au cas où ils s’en sortiraient. Je n’avais pas beaucoup les espoirs. Une fois sortie de la bulle dorée, nous tombions de haut. Les gens fuyaient un mal auquel nous n’étions pas préparés. La contamination était hors de contrôle, le gouvernement ne savait plus comment réagir. Les messages radios se contredisaient. On prit nos réserves d’eau et de vivre, des vêtements chauds, des plaids, toute sorte de chose qui aurait pu nous servir.

Nous marchons, la voiture ?! Nous aurions pu mais à quoi bon, les axes sont encombrés. On évite les grands axes, on passe par les champs, on fait la garde le soir, pendant que Luvya dort contre nous. Nous sommes à trois. Nous avons évité jusqu’à maintenant les Zack. Nous devions aller au Nord, c'était l'un des buts. Nous avons marchés, des jours et des jours encore, nous n'étions pas forcément loin, mais, avec une petite de douze ans. Nous pensions nous rendre vers le Nord, c'était sans compter que nous allions nous égarer un moment. Nous aurions peut-être du rester à Trois-Rivières, nous y étions très certainement plus en sécurité. Puis un groupe de marcheurs auquel on s’joint. On essayera de survivre tous les trois. En espérant que mes parents soient vivants. Je me fais du souci pour les autres. Nous sommes début aout. Il fait chaud, il pleut des cordes. Les humains ne sont pas les seuls à devenir fous. Nous le sommes tous. Mais à quoi bon ? Aujourd’hui, le monde est face à un dilemme, survivre ou se laisser abattre. Nous avons décidé de survivre.

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