Chapitre 1 : Tous les enfants ne sont pas le fruit de l'amour véritable.
La nuit était sombre et une fine couche de neige commençait à recouvrir les rues de Nashville. Dans le quartier nord, le silence était troublé parfois par des sirènes de police mais aucune voix plus forte qu'un murmure ne s'élevait. Il faut dire que c'était l'un des quartiers les moins sûrs de la ville et peu de gens osaient s'y rendre après 21 heures. Mais Lauren n'avait pas vraiment le choix. Elle vivait dans l'un des immeubles insalubres du coin et finissait son service au café à 21h30, aussi, il lui fallait forcément se retrouver seule dans ces rues à des heures peu recommandées. Mais elle n'avait pas vraiment peur. La peur se voyait sur les visages des passants, c'était elle qui attirait les voyous du coin et les poussaient à agir. Ceux qui n'avaient pas peur, comme Lauren, ne risquaient rien. Alors la jeune femme de 21 ans avançait le visage relevé, le pas assuré et ne tarda pas à se retrouver dans le hall de son immeuble où la lumière vacillait doucement. Un bruit de porte qui claque dans son dos fit sursauter la jeune femme qui se retourna vivement pour se retrouver nez à nez avec son voisin, Daniel Jefferson. C'était un homme d'une trentaine d'année, voire beaucoup moins, qui lui faisait sans arrêt des avances et qui la mettait étrangement mal à l'aise. Lauren poussa un soupir alors que l'homme, traînant dans son sillon cette éternelle odeur d'alcool bon marché, s'approchait d'elle en souriant.
« Bonsoir, Lauren ! Comment ça va, ce soir ? »Les mots de l'homme semblaient se former difficilement mais il parvint tout de même à terminer sa phrase et la jeune femme se contenta de lui répondre d'un seul mot puis tenta de se faire la malle sans avoir l'air trop malpolie. Mais Dan lui attrapa le poignet alors qu'elle tentait de le contourner et la plaqua relativement doucement contre le mur crasseux du hall.
« Allons, attends un peu, on va discuter.... »Lauren savait qu'elle aurait pu crier, que quelqu'un l'aurait forcément entendu. Mais elle savait aussi que personne ne viendrait pour l'aider. Daniel effrayait tout le monde mais ce n'était pas la seule raison. Des tonnes de crimes avaient lieu par ici sans arrêt et le seul moyen de s'assurer qu'on ne serait pas le prochain, c'était de rester discret. Quiconque se mêlerait de cette histoire risquait sa propre tranquillité. Alors, elle fit la seule chose qu'elle avait à faire, après avoir tenté en vain de se débattre. Elle attendit que ça se termine. Elle ferma les yeux si fort que cela lui faisait mal, mais au moins, elle ne voyait plus les yeux vitreux de l'homme au-dessus d'elle. Elle tenta d'imaginer un endroit agréable, comme une plage sous le soleil et elle y arriva si bien qu'elle en oublia presque l'odeur de whisky et le froid du carrelage dans son dos.
La jeune femme était à l'université de Nashville depuis quelques années déjà, elle y étudiait la philosophie. Toute sa famille lui avait déconseillé ces études, assurant qu'elle ne trouverait jamais de travail avec un master de Philo. Et en ce soir du 15 Février 1987, Lauren regrettait amèrement de ne pas avoir suivi les conseils de ses parents et d'être venue dans cette ville de malheur. Pourtant, quand Daniel l'abandonna sur le sol et retrouva le confort de son petit appartement du rez-de-chaussé, Lauren n'appela toujours pas à l'aide. Elle ne raconta jamais à ses parents ou à ses amis ce qui était arrivé ce soir-là. Au lieu de ça, elle rassembla ses affaires et alla s'installer quelques jours chez une amie, le temps de trouver un autre logement, loin du lieu de sa honte. Elle ne demanda pas d'heures supplémentaires pour avoir l'occasion de payer l'intervention dont elle aurait pu avoir besoin quand, quelques semaines plus tard, elle découvrit qu'elle était enceinte.
Chapitre 2 : C'est la vie qui fait ce que nous sommes
Il est difficile de grandir mais ça l'est plus encore quand on est seul. Quand personne n'est là pour nous tenir la main dans les épreuves, pour nous encourager, pour nous féliciter, pour nous sourire. Lauren avait réussi en neuf mois à tourner le dos à toutes les personnes dont elle fut proche un jour. Il ne restait plus qu'elle et la petite fille qu'elle portait en elle et qui grandissait un peu plus chaque jour. La sentir vivre, grandir, était une épreuve indicible pour la jeune femme. Mais la naissance de la fillette, le 12 Octobre 1987, ne fut pas un soulagement pour autant. Le bébé ressemblait à Daniel, beaucoup trop en tout cas pour que Lauren ne puisse se remettre. Bien sûr, elle aimait sa fille, à qui elle donna le nom de sa propre grand-mère, Juliet. Mais elle avait encore plus mal chaque jour qui passait.
Jusqu'à ce que Juliet sache parler et marcher seule, Lauren s'en occupa du mieux qu'elle put, bien que cela signifiait souvent la laisser aux bons soins de sa dernière amie, Naomi. C'était comme si la jeune femme était absolument incapable de se retrouver seule avec son bébé. Et puis, elle finit par s'y faire et même si Naomi était encore souvent présente, Lauren et Juliet parvenaient enfin à passer un peu plus de temps ensemble.
Mais la petite fille sentit rapidement que quelque chose n'allait pas dans sa vie, chez sa mère. Elle se doutait qu'au fond, ça n'était pas normal que sa maman passe tant de temps à regarder la pluie couler sur la fenêtre de la cuisine au lieu de faire le repas. Elle savait que ce n'était pas normal que ce soit toujours Naomi qui venait la chercher le matin pour l'emmener à l'école. Et surtout, elle savait que ce n'était pas normal qu'elle n'ait pas de Papa. Le soir, quand elle revenait de l'école maternelle, puis, plus tard, de l'école primaire du quartier, Juliet s'asseyait près de sa mère dans le salon et l'observait regarder droit devant elle. Trouvant cette situation insupportable, la petite fille allumait la télé pour donner un semblant de logique aux actions de sa mère : ainsi, elle ne regardait plus dans le vide mais elle regardait l'écran et suivait les programmes de la télévision. Et puis, après des heures dans le silence le plus total, Juliet prenait la main inerte de sa Maman et lui demandait doucement :
« Maman, il est où mon Papa ? »Lauren regardait alors sa fille et dans ses yeux bruns on voyait la plus grande tristesse du monde et elle caressait les cheveux de sa fille et lui souriait doucement, incapable de répondre à cette simple question. Alors, Juliet allait dans sa chambre et regardait à son tour par la fenêtre sans bouger, suppliant le ciel de lui apporter un jour une famille, de guérir sa Maman et même, parfois, de lui donner un ami.
Et puis, alors que Juliet, âgée de neuf ans, posait encore et toujours cette même question chaque soir, Lauren craqua. Elle fondit en larmes, ne pouvant plus se retenir désormais. Juliet eut si peur qu'elle se mit à pleurer elle aussi et s'excusa mille fois auprès de sa mère et la supplia de s'arrêter. Mais, toujours sanglotante, Lauren décida qu'il était temps de partager son fardeau avec sa fille et elle lui parla de Daniel, de ce qui était arrivé le soir du 15 Février 1987 et elle lui dit que ça avait gâché sa vie et aussi, pour la première fois, que tous les enfants n'étaient pas le fruit de l'amour véritable. Cette phrase marqua profondément la petite fille. Elle n'était pas comme les autres enfants, elle l'avait toujours su. Mais maintenant, on lui expliquait enfin pourquoi. Pourquoi elle était seule au monde, pourquoi elle n'avait aucune famille qui l'aimait, pourquoi sa Maman ne s'occupait pas d'elle et pourquoi son Papa n'était pas là. Elle comprenait enfin pourquoi elle était toujours seule et qu'aucun autre enfant ne voulait être avec elle. Elle n'était pas comme les autres car personne n'avait voulu d'elle. Elle était pire qu'un accident, elle était la preuve d'un horrible crime, elle était une honte.
Juliet avait toujours été une petite fille dure avec les autres, le genre à chercher la bagarre et à s'attirer des ennuis, simplement car elle était constamment en colère, sans savoir pourquoi. Elle réclamait inconsciemment l'attention qui lui manquait cruellement. Mais à partir du soir où sa mère lui avoua la vérité sur sa conception, la petite fille trouva enfin une vraie raison de sa battre : la vengeance. Elle se devait de retrouver cet homme et lui faire payer d'avoir gâché la vie de sa Maman.
Chapitre 3 : Tout vient à point à qui sait attendre.
Le désir de vengeance fut tout ce qui anima Juliet pour le reste de sa vie. Et quand on lui demanda ce qu'elle voulait faire quand elle serait grande, elle répondait d'un ton dur mais déterminé : « punir les méchants ». Mais, bien que sa volonté de se venger et de combattre le crime soit forte, elle ne voulait pas devenir elle-même une criminelle pour y parvenir. Cependant, la voie habituelle ne lui convenait pas non plus. Elle envisagea tellement de perspective d'avenir dans le corps de la Justice et de l'Ordre publique que tout le monde s'attendait au final à la voir devenir policière. Mais ça n'était pas ce qu'il lui fallait. Suivre cette voie serait trop contraignante, elle le savait déjà. Elle travailla pourtant très dur pour obtenir toujours des notes plus que convenable et à la fin du lycée, elle avait été acceptée dans toutes les universités auxquelles elle avait postulé.
Cependant, son choix se porta sur la filière criminologie de l'université de Nashville. Même si son rêve était de quitter cette ville et de faire ce qui lui semblait juste, Juliet se trouvait bien incapable, seulement âgée de 18 ans, d'abandonner sa mère à son triste sort. Qui s'occuperait de Lauren si la jeune fille partait à New York ou ailleurs pour faire ses études ? Non, il fallait qu'elle reste dans le Tennessee jusqu'à ce que sa mère soit capable de vivre seule. Et puis cela lui épargnait au moins les frais d'un logement personnel.
Motivée par sa cause, Juliet se spécialisa bien vite en profiling et, à 22 ans, elle termina son Master en Criminologie avec une mention. Il faut dire que ses années à l'université furent presque entièrement dédiée aux études. Elle fut sans doute l'une des seules étudiantes au monde à ne participer que deux fois à des soirées étudiantes où Louise l'avait traîné de force. A vrai dire, Louise fut sans doute la seule et unique personne avec qui Juliet eut une relation suivie au cours de son existence.
C'était une jeune fille tellement différente de tout ce que Juliet pouvait être. Louise était libre, complètement dingue et absolument pas fréquentable. C'était le genre à ne venir en cours qu'une fois sur dix et a supplier les élèves de sa promo de lui prêter leurs notes en leur faisant les yeux doux. C'est d'ailleurs ainsi qu'elle fit la connaissance de Juliet, qui était désormais connu dans toute la promo comme la première de la classe. Louise était venue la trouver un jour en fin d'après-midi et lui avait demandé si elle accepterait de l'aider à réviser pour un partiel. Juliet s'était trouvée totalement stupéfaite par les yeux bleus d'une profondeur incroyable de la jeune femme. Elle était belle, incroyablement belle et si... vivante. Jamais personne dans la vie de Juliet ne lui avait semblé si vivant.
Très vite, les deux jeunes filles devinrent inséparables. Leur amitié grandissait chaque jour. Du moins, c'était ainsi que Juliet s'obligeait à y penser : de l'amitié. Elle ne voulait pas admettre qu'elle pensait un peu trop souvent à son amie aux cheveux noirs. C'était pour ça sans doute, parce qu'elles étaient amies, que Juliet pensait si souvent à Louise. Et ce n'était pas si étrange que ça, n'est-ce pas , qu'elle s'imagina parfois ce que cela ferait de l'embrasser. Ca n'avait rien de fou d'imaginer qu'elles puissent être un peu plus que des amies, tant elles étaient proches. Pourtant, Juliet continuait de ressentir une certaine gêne quand elle se retrouvait avec la jeune fille. Et sa gêne ne fit que s'amplifier le jour où Louise lui présenta Johanna, sa petite-amie. C'était la première fois que la jeune fille réalisait que deux femmes pouvaient réellement s'aimer. Et cela lui brisait le cœur, car elle aurait tellement voulu être celle que Louise aimerait...
Et puis un soir, Louise et Johanna, c'était terminé. Juliet tacha de ne pas trop montrer sa joie quand celle qui était devenue sa meilleure amie lui annonça la nouvelle. Elle essaya de se montrer compatissante et accepta même d'accompagner Louise à une fête pour qu'elle puisse se changer les idées. Beaucoup d'alcool fut ingurgité autant par l'une que par l'autre au cours de la soirée et le fait que Juliet n'avait pas l'habitude de boire n'aida pas vraiment. Louise la raccompagna jusqu'à son studio au milieu de la nuit, afin que Lauren ne voit jamais sa fille dans un tel état et c'est dans l'intimité de cet espace que la relation entre les deux jeunes filles passa d'amitié à amour. Juliet, trop saoule pour réaliser ce qu'elle faisait, avait enfin osé avouer ses sentiments à Louise qui se jeta sur elle pour l'embrasser. C'était la première fois que Juliet tombait amoureuse. Mais aussi la dernière.
Quelques mois après que Juliet et Louise aient obtenu leur diplômes et alors que la première hésitait depuis des semaines à proposer à sa petite-amie de prendre un appart ensemble, Louise décida de partir pour Los Angeles afin de faire carrière dans le mannequinat, après qu'on lui ait proposé un contrat pour une publicité. Juliet fut légèrement sous le choc quand elle l'apprit mais elle était tout à fait disposer à revoir ses plans pour partir à L.A. Avec la jeune femme. Malheureusement, Louise lui fit comprendre de manière assez peu délicate qu'il n'en était pas question. Une relation qui durait depuis trois ans pris ainsi fin et Louise disparut sans se retourner.
Juliet en eut le cœur brisé. Elle imagina bien longtemps qu'elle ne s'en remettrait jamais et depuis lors, dès qu'une femme commençait à lui plaire, elle s'en éloignait autant que possible afin de ne plus jamais revivre cette douleur. Il fallait qu'elle se recentre sur ce qui était réellement important pour elle : retrouver son père et venger sa mère, faire payer leurs crimes à tous ces salopards qui se baladaient encore dans la nature. Sa rage innée et sa formation de profiler la menèrent tout naturellement à devenir chasseuse de prime. Ce métier lui convenait parfaitement : chasser les criminels tout en aidant leurs familles et sans dépendre d'aucun patron, d'aucune juridiction. Elle avait même le droit de porter une arme et de s'en servir en cas de besoin.
Chapitre 4 : Il y a des indulgences qui sont un déni de justice.
C'est assez naturellement que Juliet se spécialisa rapidement dans la traque des auteurs de viols et autres agressions sexuelles. Elle se savait séduisante et cela n'était qu'un atout de plus dans son travail. Elle agissait simplement en retrouvant la trace de l'homme qui avait pris la fuite avant son arrestation ou après sa libération sous caution, le séduisait et le rendait ensuite aux autorités, empochant au passage une belle commission. Le fait qu'elle aimât les femmes plutôt que les hommes fut un immense avantage dans cette entreprise car ainsi elle se tint toujours à l'écart des faiblesses du cœur face à l'une de ses cibles.
Elle se créa bien vite un réseau de relations dans le monde des chasseurs de primes mais aussi de la police et avec un prénom et un nom, il ne lui fut pas bien difficile de retrouver la trace de Daniel Jefferson. Mais ce qu'elle découvrit à son sujet manqua de la tuer sur le champ. Il était à des kilomètres de l'homme qu'elle avait imaginé toute sa vie. Ce n'était pas un monstre solitaire, agressant les femmes dans la rue quand la nuit tombait, débraillé et sentant l'alcool à plein nez. Non, Daniel Jefferson était devenu le mari d'une très jolie femme et le père d'un jeune homme respectable. Il avait un emploi dans une banque et vivait une vie paisible auprès de sa famille, aimé et respecté par la communauté.
Juliet crut réellement devenir folle quand on lui annonça tout cela. Mais elle ne put le nier après qu'elle se soit rendu elle-même à Lexington en Caroline du Nord, pour le voir de ses propres yeux. Pourtant, elle n'aurait pu espérer mieux que cette situation, en un sens. L'homme qui avait détruit la vie de sa mère et la sienne était heureux, il avait sa place, il était respecté. L'information dont disposait Juliet sur son passé, une fois révélée, aurait sans aucun doute fait des dégâts irréparables. Il lui suffisait d'aller voir la femme de Daniel, ou son fils, et de lui dire qu'elle était sa fille, le résultat d'un viol qu'il avait commis des années auparavant et toute la vie de cet homme serait détruite...
Bien sûr, Juliet était une jeune femme intelligente et elle avait pensé à cette éventualité assez rapidement. Elle avait monté un plan parfait, basé sur son angle d'attaque habituel dans ses enquêtes : la séduction. Mais comme elle répugnait trop à se retrouver en face de Daniel, elle s'intéressa plutôt à son fils.
Un après-midi, alors qu'elle filait toute la famille depuis trois jours, elle se décida à se lancer et provoqua une rencontre entre elle et celui qui était officiellement son demi-frère. Le jeune homme tomba presque instantanément sous son charme et il l'invita à boire un verre en fin d'après-midi. Elle y découvrit qu'il s'appelait Sam et que, du haut de ses 20 ans, il était élève à la NYU, où il étudiait l'économie bien que son rêve était de devenir musicien. Il était revenu récemment à Lexington car sa mère venait d'apprendre qu'elle avait un cancer et qu'elle n'y survivrait sans doute pas très longtemps.
Juliet était effondrée en entendant tout cela. Sam était un jeune homme incroyable et elle se surprit à l'apprécier vraiment. Quant à sa mère mourante, la jeune femme se voyait mal détruire son bonheur seulement quelques mois avant sa mort... Ce pourquoi la jeune femme s'était battue toute sa vie lui filait entre les doigts. Sa soif de vengeance s'en trouvait quelque peu calmée. Elle ne pouvait pas faire ça à deux innocents qui n'avaient rien demandé et elle le savait. Alors, après avoir dîner avec son demi-frère, elle quitta Lexington les larmes aux yeux et retourna auprès de sa mère à Nashville, qui ne se doutait de rien.
La jeune femme reprit le cours de sa vie, évitant tant bien que mal de s'intéresser à nouveau à Daniel. Elle n'avait pas vraiment abandonner l'idée de le revoir un jour mais elle savait que lorsque cela arriverait, ce ne serait plus pour détruire sa vie, seulement pour le confronter. Il faudrait un jour qu'elle accepte de lui faire face, qu'il sache qu'elle existe et que sa vie avait été un enfer à cause de lui.
Chapitre 5 : La mort qui marche.
Juliet n'avait jamais été une fille stupide, au contraire. C'est sans doute pour cela que quand l'année 2015 arriva, apportant dans son sillage des rumeurs selon lesquelles les morts revenaient à la vie, elle ne se laissa pas avoir. Elle avait désormais 27 ans et avait parcouru tous les états du pays au moins une fois à la recherche d'un fugitif, se noyant dans le travail et dans les relations sans avenir avec des femmes rencontrées au hasard, afin de ne pas penser à l'échec de son plan de vengeance. La femme de Daniel était finalement morte deux ans et demi après qu'elle ait retrouvé sa trace mais depuis lors, Juliet n'avait jamais eu la force d'aller confronter son père biologique. Plusieurs fois pourtant, elle était repassée par Lexington et l'avait observé de loin. Il commençait à vieillir et passait la plus grande partie de son temps seul. Solitude uniquement rompue par les visites de son fils, qui étaient rares mais régulières.
Elle ne savait même pas pourquoi elle n'avait pas osé aller lui parler. Depuis le temps, il était probablement remis de la mort de sa femme et même si ça n'avait pas été le cas, ce n'était certainement pas à Juliet de s'en préoccuper. Mais elle restait toujours en retrait et rentrait chez elle au bout de deux jours, pour passer presque une semaine avec sa mère qui commençait à peine à réapprendre à vivre.
Alors bien sûr, le fait que les morts se réveillaient pour attaquer les vivants n'était pas vraiment au centre des préoccupations de la jeune femme. Et puis, ça sonnait comme des stupidités. Elle adorait les films de zombies mais de la à croire que de telles créatures puissent réellement exister, il ne fallait pas abuser non plus. Ainsi, elle continua de mener sa vie comme si de rien était pendant quelques mois, multipliant les missions à la recherche de ses cibles, comme elle aimait les appeler. Rien ne venait perturber sa vie et elle n'avait même jamais eu la chance de rencontrer l'un de ces soit-disant zombies. Comme quoi ils ne devaient vraiment pas exister.
Cependant, les rumeurs continuèrent de se propager, bien que Juliet décida de ne pas en tenir compte. Son avis changea du tout au tout un soir du début Juillet 2015, alors qu'elle était en mission en plein cœur de Nashville pour retrouver un homme suspecté d'avoir violé sa propre femme et qui était pour l'heure introuvable.
Juliet avait retrouvé la trace du coupable dans un squat au centre ville. Elle savait qu'il conduisait une berline noire et connaissait déjà par cœur le numéro de la plaque d'immatriculation. Seulement, elle n'avait pas beaucoup de temps et franchement aucune envie de jouer le rôle de la femme fatale ce jour-là, aussi, elle décida de changer un peu son mode opératoire. Quand elle découvrit la voiture garée sur un parking, elle décida de surveiller les lieux quelques temps, histoire de voir si le véhicule avait été abandonné ou non. Très vite, elle remarqua que son suspect revenait chaque jour quasiment à la même heure et qu'il venait s'installer au volant de sa voiture une fois la nuit tombée pour y dormir jusqu'au matin. Ayant observé ce petit manège deux jours d'affilé, elle décida de passer à l'action le troisième jour.
Peu avant la tombée de la nuit, Juliet parvint donc à pénétrer dans le véhicule et elle se cacha à l'arrière, attendant patiemment que le propriétaire ne se montre pour le prendre par surprise. Elle ignora involontairement les grognements et les piétinements qui se faisaient entendre dans les rues adjacentes. Le coin lui semblait parfaitement semblable à d'habitude et elle n'était pas du genre à s'inquiéter.
Un peu plus tôt qu'à l'heure habituelle, quelqu'un ouvrit la portière conducteur de la berline et s'installa sur le siège. Juliet attendit quelques instants, distinguant des bruits qui sous-entendait que l'homme cherchait quelque chose dans la boite à gant. Quand il lui sembla qu'il avait repris sa position initiale, la jeune femme sortie de sa cachette et enserra le cou de sa victime avec un câble, s'assurant qu'il ne pourrait pas parler ni même bouger sans risquer de se tuer. Seulement, quelque chose n'allait pas... L'homme était bien plus massif que ce à quoi elle s'était attendue au vu des photos et de sa planque des derniers jours. Quant à ses cheveux, ils n'étaient absolument plus blonds comme la veille au soir mais bruns. Un rapide coup d’œil dans le rétroviseur confirma à Juliet que la personne au volant n'était pas l'homme qu'elle recherchait. Instinctivement, elle relâcha sa prise et demanda, passablement énervée :
« Putain, t'es qui, toi ?! »Dès qu'elle eut obtenu l'identité de l'homme au volant de la voiture, les choses devinrent plus claires pour chacun d'entre eux. Lui avait seulement essayé de piquer la caisse et elle lui expliqua rapidement et sans entrer dans les détails qu'elle cherchait juste le mec qui possédait initialement cette voiture parce que c'était un sale enfoiré recherché par les flics. Elle révéla tout de même que non, elle n'était pas flic elle-même. Mais sa bonne humeur n'était certainement pas revenue. Ce guignol allait lui faire perdre une cible s'il jouait les prolongations dans le coin.
« Bon, t'es gentil mon pote, mais maintenant va falloir que tu dégages, mon gars va arriver et je voudrais pas qu'il flippe en nous voyant dans sa caisse. »Sur ces mots pleins de poésie, Juliet ouvrit la portière à sa gauche et sortit elle-même du véhicule, invitant son nouvel ami à en faire de même. Quand ils furent tout deux sur le parking, Juliet jeta un coup d'oeil à sa montre. La nuit était en train de tomber, il était 20h et toujours aucune trace de sa cible. Habituellement, il arrivait aux alentours de 20h. La jeune femme attrapa l'homme par la manche et le conduit jusqu'à l'autre côté du véhicule, où ils passeraient inaperçus une fois agenouillés, quand l'autre arriverait. Mais l'heure tournait, le ciel s'assombrissait et le seul bruit venant percer le silence était celui d'un pas effroyablement lent à une dizaine de mètre et il ne venait clairement pas dans leur direction. Agacée, Juliet se releva et regarda à travers les vitres crasseuses vers l'origine du bruit.
Ce qu'elle vit lui coupa le souffle pendant au moins une minute. C'était bien son homme qui faisait les cent pas près de sa voiture. Malgré le teint grisâtre et les yeux vitreux, elle reconnaissait son visage carré et ses cheveux blonds. Cependant, le fait qu'il grognait et marchait au ralentit, sans compter sur l'ouverture béante au niveau de son abdomen, eut au moins le succès de faire perdre à Juliet son sang-froid.
« Borderl, c'est quoi, ça ? »Elle se posait plus la question à elle-même qu'à quelqu'un et eut même un sursaut quand elle entendit la réponse de l'homme qui lui tenait compagnie depuis tout à l'heure et qu'elle avait presque oublié sous le coup de la surprise. Elle n'arrivait pas à y croire. Ce type ne pouvait pas encore être en vie alors même qu'il était si gravement blessé. Et pourtant, il continuait d'avancer si lentement droit devant lui, comme si le monde avait cessé d'exister autour de lui. Juliet n'arrivait pas à croire que ce soit possible. Les zombies existaient vraiment, elle était bien obligée d'y croire maintenant... Il ne fallait pas que cette bestiole s'approche d'eux et les tue, aussi, la jeune femme se tourna vers celui que le destin avait désigné comme son compagnon et lui demanda, bien moins calme qu'elle ne l'aurait voulu :
« Tu sais démarrer ce truc sans les clés? » Chapitre 6 : Vivre en Enfer.
Ces saloperies étaient partout. Sur le chemin qui les avait mené hors de la ville, Juliet et Fenris en avaient croisé une centaine, au moins. Ils avaient roulé sans regarder en arrière, aussi loin que possible de la ville, tant que l'adrénaline coulait encore dans leur sang. Ils n'avaient même pas échangé un mot pendant le trajet, Juliet se contentant de regarder par la fenêtre pour mieux voir les créatures qui avaient envahi la planète.
Après une heure de route, ils avaient trouvé une sorte de hangar abandonné et s'y étaient cachés. C'était là qu'ils avaient échangés leurs premiers mots. Là que Juliet avait appris qu'il s'appelait Fenris et qu'il avait 32 ans. Là qu'elle lui avait enfin avoué son propre nom et aussi son métier. Là qu'elle lui avait montré, plus pour lui faire comprendre qu'il n'avait pas intérêt de déconner avec elle, son arme qu'elle gardait toujours sur elle. Elle n'avait qu'un seul chargeur, certes, mais il était plein pour le moment.
Ils avaient discuté, étaient parfois restés en silence. La nuit filait et bientôt le jour lui succéda sans que Juliet n'ait réussi à fermer l'oeil une seule seconde. Elle était épuisée mais ça n'avait aucune importance car bientôt, elle le savait, elle serait morte si elle ne trouvait pas une solution. Elle avait passé la nuit à penser à tout ce qu'elle avait vu et lu sur les zombies avant que ce cauchemar ne devienne une réalité. Bien sûr, les grandes villes étaient à éviter. Il fallait trouver des armes et de la nourriture, de l'essence aussi et fuir aussi loin que possible des foules. Le hangar où ils se trouvaient n'était pas si mal et ils pourraient y rester le temps de trouver une meilleure solution. Il leur faudrait aussi un moyen de communiquer avec l'extérieur. La radio de la voiture suffirait pour le moment, elle leur apporterait les nouvelles importantes, s'il y en avait encore, bien sûr.
Juliet fit rapidement part de son plan à Fenris et ensemble, ils reprirent la route en sens inverse pour trouver de quoi se nourrir et se défendre sans entrer dans le cœur de la ville. Mais même aux abords de Nashville, la situation devenait vite critique. Les gens étaient tous paniqués et ils entraient dans les boutiques du centre commercial pour prendre tout ce qui leur tombait sous la main. La jeune femme avait trouvé un sac à dos dans un magasin de sport, ainsi qu'un sac de couchage et elle remplissait maintenant le sac de conserves en observant un homme sortir du magasin avec une télé sur le dos. Qu'allait-il bien pouvoir en faire, de sa télé ? Enfin...
Fenris et Juliet rassemblèrent tout ce qu'ils purent sans s'encombrer de la politesse de régler leurs achats. Mais était-ce encore un crime que de se servir ? La jeune femme n'en était plus vraiment certaine. Les deux compagnons retournèrent au hangar aussi rapidement que possible et ils y restèrent plusieurs jours, jusqu'à ce que Juliet, qui passait presque toutes ses journées à écouter la radio, entende un message du gouvernement qui conseillait de rejoindre le nord du continent. La jeune femme en parla à Fenris et ils décidèrent donc de partir dès le lendemain, bien que Juliet aurait souhaité partir sur le champ et ainsi ne pas perdre de temps.
Les routes étaient déjà encombrées de voitures abandonnées et de corps en train de se décomposer. Il semblait que la situation ait totalement dégénéré. Coupable, Juliet ne pouvait s'empêcher de penser à sa mère, qu'elle avait laissé dans Nashville. Mais il était impossible de retourner à l'intérieur de la ville sans se faire tuer et comme Fenris l'avait suggérée, Lauren devait être morte à présent. Tout ce que Juliet espérait, c'était que sa mère ne soit pas devenue l'une de ces créatures.
Parcourir les 1276 miles entre Nashville et Coaticook, au Québec, leur pris plus d'un mois, alors que cela n'aurait duré qu'une vingtaine d'heure si la route avait été libre. Mais ils devaient s'arrêter souvent pour déplacer des voitures bloquant le chemin et passer des heures à trouver un peu d'essence pour continuer leur route.
Ce fut un mois qui les rapprocha grandement. Il n'y avait plus personne d'autre qu'eux dans leur monde alors ils devaient bien se serrer les coudes et se faire confiance. Ils apprirent à se connaître au fil de leur voyage, entre discussions sérieuses, petits moments de détente... Ils se permettaient même parfois d'écouter de la musique. L'ancien propriétaire de la berline avait laissé quelques CDs dans la boite à gants, dont un album des Beatles qui avait ravi Juliet.
Parfois, ils croisaient d'autres survivants mais trop souvent ceux-ci ne cherchaient qu'à les voler, la moindre ressource étant devenue une denrée rare. Avec le temps, ils arrêtèrent tout simplement de proposer leur aide aux autres groupes de voyageurs et restèrent ensemble, dans leur coin. Et puis, à même pas 50 km de leur but, ils tombèrent en panne d'essence et ne parvinrent pas à trouver de réservoirs encore plein parmi les voitures échouées sur le bas-côté. D'autres étaient probablement passés par là avant eux et n'avaient rien laissé. Alors, ils décidèrent de finir leur chemin à pieds, prenant bien soin de se cacher la nuit, se barricader même, afin d'éviter les attaques surprises, et de marcher le plus longtemps possible le jour. La nourriture commençait à manquer, ils se rationnèrent donc de plus en plus et cela les affaiblit tant qu'ils mirent une semaine à parcourir les kilomètres restant.
Chapitre 7 : Bienvenue à Coaticook.
Juliet n'avait plus qu'une idée approximative de la date exacte. Comme tout le reste, le temps était mort. Elle savait seulement qu'au moins un mois était passé depuis qu'elle et Fenris avaient fui Nashville. Mais elle ne pouvait même pas en être sûre puisqu'elle n'avait pas réussi à tenir le compte des heures qui passaient ces derniers jours. Le temps se rafraîchissait et la jeune femme commençait à se sentir stupide de ne pas avoir apporté plus de vêtements chauds. Mais cela prouvait au moins qu'ils approchaient du nord du pays et même peut-être qu'ils étaient déjà au Canada. Coaticook n'était pas très loin derrière la frontière et une fois arrivés, ils trouveraient une solution. Ils survivraient. Elle en était certaine.
Ce fut un immense soulagement pour la jeune femme quand enfin, ils aperçurent le panneau indiquant l'entrée de la ville. Elle se dit immédiatement que désormais, ils étaient sauvés. Il suffirait de trouver un campement de l'armée ou un autre groupe de survivants qui ne tenteraient pas de les tuer et tout irait bien. Juliet adressa un grand sourire à Fenris quand ils pénétrèrent enfin dans la ville. Ils avaient réussi, ensemble, enfin ! En quelques semaines, elle était devenue bien plus proche de l'homme qu'elle ne l'avait jamais été de qui que ce soit au cours des dernières années. Depuis qu'elle avait perdu Louise, à vrai dire. Et cela faisait du bien d'être deux à nouveau, surtout en ces temps difficiles.
Fenris et Juliet étaient épuisés et après la joie d'avoir enfin atteint Coaticook passée, ils trouvèrent une maison déserte et décidèrent de s'y installer pour la nuit. Sur les conseils de Fenris, ils investirent le grenier de la bâtisse et y passèrent leur première nuit détendue depuis un mois. Demain, ils chercheraient de l'aide mais pour l'instant, il fallait se reposer.
Fin.