Comment avez vous réagi, en fin d'année dernière et au début de cette année, quand les rumeurs d'épidémies se multipliaient autour de vous ?Au tout début, je dois bien admettre que je n'y ai pas cru. Pour moi, c'était de la pure connerie, comme le délire de la fin du monde en 2012, du calendrier maïa, vous voyez le genre ? Au commissariat, la brochure qui est passée entre nos mains m'a laissé perplexe. Comme beaucoup d'entre nous, j'ai minimisé le risque. Je me le suis pris de plein fouet durant l'été qui a suivi... Ce fut là que j'ai pleinement réalisé dans quelle merde on était. Lorsque les premiers collègues ont commencé à être infectés par des suspects appréhendés et menottés qui s'étaient retournés contre eux et qui les avaient mordus. J'ai réalisé à cet instant, mais tellement trop tard, que l'humanité était perdue.

Où étiez vous au moment où la Grande Panique a débuté début juillet, et comment y avez vous survécu ? Au début de la Grande Panique, je me trouvais là où je devais être, c'est-à-dire à mon poste, tout simplement. La première fois que les forces de l'ordre ont reçu l'ordre de se battre contre les zombies, on n'en a pas mené large et c'est un véritable miracle si j'en ai réchappé. De bons collègues se sont fait dévoré en quelques minutes. J'étais la meilleure de ma brigade, c'est peut-être ça qui m'a sauvé. Ma rapidité aussi. Toujours est-il que j'ai survécu. J'ai échappé aux monstres dégoulinants de sang. On en a tué, encore et encore, mais comme Sisyphe, ils revenaient toujours... C'était une mission sans fin. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de mission. Plus d'ordre du tout. C'est à ce moment-là que j'ai pris ma voiture et que je me suis enfuie, en direction du Nord.

Comment êtes vous arrivé à Trois-Rivières et ses environs ? Quel est votre plan de survie pour passer l'hiver ? Je me suis enfuie des Etats-Unis en voiture. J'avais encore mon arme et mon uniforme. J'ai tout laissé derrière moi. En même temps, il ne me restait plus grand chose. Et j'ai roulé, roulé, encore et encore, direction plein Nord. Jusqu'à ce que cette foutue bagnole tombe en rade, non loin de la frontière. Il a bien fallu sortir du véhicule et tenter de survivre comme j'ai pu. J'ai ainsi rejoint Trois-Rivières et j'ai rencontré un groupe de réfugiés à qui je me suis alliée. Je suis convaincue que l'union fait la force, c'est le groupe qui nous aidera tous à passer l'hiver et à survivre...

Ca puait la mort et le cadavre en putréfaction. Tout tournait et elle n’arrivait pas à faire le point. Un vague brouhaha l’enveloppait, la coupait de la réalité. Elle secoua tant bien que mal la tête. Il fallait qu’elle bouge. Il fallait qu’elle se relève. Une substance gluante et chaude coulait le long de son pantalon, sur sa cuisse. Elle attrapa sa jambe et ressentit une vive douleur. Amenant ses doigts à sa bouche, elle comprit que c’était le goût de fer du sang. De son propre sang. Avait-elle été mordue ? Elle espérait que non. Sinon, ses dernières forces lui serviraient à se coller une balle dans la tête, tout en sachant pertinemment que cela ne servirait à rien. Il paraît que lorsqu’on va crever, on voit toute sa vie défiler devant ses yeux. Eva va peut-être passer l’arme à gauche dans ce cas, car des souvenirs l’assaillent. Elle tente de les repousser. Ce n’est vraiment pas le moment. Elle doit garder sa conscience intacte pour survivre, pour s’en sortir. Mais elle ne peut rien faire…

Le bruit était assourdissant. L’alcool coulait à flot. La villa de la jeune Jessy avait été prise d’assaut lorsque le bruit avait couru qu’une grande fête était organisée. Jessy était une jeune fille de la grande bourgeoisie. Elle arrivait au lycée en décapotable chauffeur et avait toujours la dernière paire de chaussures à la mode. Blonde, plantureuse, elle sortait naturellement avec le mec sportif et belle gueule que toutes les autres filles convoitaient. Sa soirée était donc grandiose, comme tout le monde s’y attendait. Les garçons coinçaient les filles dans des coins sombres, la musique faisait trembler les murs et l’alcool naturellement était présent en quantité plus que raisonnable. Eva, quant à elle, observait ses comparses de classe sourire aux lèvres. Elle était pour sa part avec des garçons uniquement. Elle aurait été bien en peine de s’insérer dans un groupe de fille car elle n’avait aucune copine. Eva était certes jolie fille mais son côté garçon manqué était loin de plaire à tout le monde. Elle n’en avait que faire. Entourée de ses potes de basket, sport qu’elle aimait pratiquer, comme tout un tas d’autres d’ailleurs, elle se sentait à l’aise.
La compétition commence, mesdemoiselles, installez-vous en ligne devant moi !
Jessy venait d’interrompre la musique. Elle avait décidé de décerner des prix de beauté à ses collègues de promo. A ceci près que Jessy était connue pour sa cruauté. Les prix étaient loin d’être attrayants. « Prix du postérieur le plus large » « Prix des cheveux les plus gras ». Bref, des idioties de gamine qui n’intéressaient guère Eva. Cependant, ses amis l’avaient lâchement poussé en avant et elle s’était retrouvé dans la ligne des candidates, les bras croisés et l’air boudeur. Jessy passait devant chaque fille, la détaillant et trouvant naturellement un mot blessant à lancer. Elle arriva enfin devant Eva qui répondit à son regard de ses yeux froids.
Et ben alors, Eva ? Ton petit côté garçon manqué se voit jusque dans le physique. On dirait que tu as le torse d’un mec, il me semble que tu mérites amplement le « Prix de la planche à pain ».
Jessy arborait un sourire satisfait. Eva la contempla sans rien dire pendant un long moment. Ses amis, qui la connaissaient bien, se donner des coups de coude les uns aux autres, en sachant pertinemment que cet affront ne resterait pas impuni. Eva s’avança d’un pas. Elle était plus grande que Jessy et elle se fit un plaisir de la lorgner de toute sa hauteur.
Dis-moi, Jessy, tu t’es fait refaire le nez ou c’est naturel ?
Non… je…  Toute cette perfection est naturelle.
Alors qu’elle terminait sa phrase, Eva lui lança un violent coup de poing dans le nez, un « craaaaaac » sinistre retentit dans le silence qui s’était fait dans la salle. Mais Eva n’était pas satisfaite. Elle sauta sur sa rivale, la bourrant de coups de poings dans le visage et lorsque les hommes tentèrent de la dégager, elle trouva encore l’énergie de bourrer de coups de pied le ventre de la jeune fille. Elle cracha dans sa direction. Ses amis l’accueillirent avec un grand sourire.
Félicitations, tu vas encore avoir des problèmes….

Tout ça semble si loin… Le sang continue de couler et elle grimace. Elle voit un visage dans son champ de vision mais flouté, impossible de savoir de qui il s’agit. Son enfance a été mouvementée, tout comme son adolescence. Elle était l’ainée de quatre frères et avait toujours marqué son territoire. Elle n’avait jamais été une petite fille qui adorait jouer aux poupées, non. Elle était plutôt combat et sport collectifs. Elle entend une voix qui la somme de se lever mais elle n’y parvient pas.

Vous vous croyez où McAllister ???!! Vous allez me récurer le sol. Vous allez vite comprendre qu’ici, quand on n’a pas de couilles, on s’écrase !!
Eva ravalait sa rage en frottant le sol dégueulasse de la caserne. Son caractère libre et indépendant l’avait toujours poussé à se battre pour les conserver. C’était pour cette raison qu’elle avait toujours eu des tensions avec ses parents et ses frères. Elle n’avait jamais supporté l’autorité. Mais, ayant des valeurs et souhaitant apporter sa pierre à l’édifice, elle avait décidé d’intégrer la police. L’académie du Maine lui avait paru un avenir tout tracé et rieur. Elle avait vite déchanté. Elle avait imaginé sottement que les flics qu’elle côtoierait seraient des exemples de citoyens modèles, des hommes dignes d’être respectés et admirés. Elle s’était trompée lourdement. Une jolie fille, bien faite, qui débarquait dans un monde quasiment exclusivement masculin, ce n’était pas une partie de plaisir, loin de là. Elle sentit un poids s’abattre sur elle alors qu’elle était accroupie à nettoyer le sol. Une voix lui susurra à l’oreille : Et ben alors, ma beauté ? On veut tâter du flic ? Je vais t’en donner pour ton argent… Elle entendit les éclats de rire gras qui les entouraient. Eva n’était pas le genre de femme à se laisser faire sans réagir. Elle se laissa chuter au sol, pivota et lança de toute ses forces sa botte dans le visage de l’agresseur. Deux autres hommes étaient debout et se jetèrent sur elle mais Eva avait eu le temps de se relever. Elle enchaîna un direct du gauche, feinta le deuxième larron mais se prit quand même un bon coup de poing dans la mâchoire. Elle cracha du sang et se jeta dans la mêlée. Elle aboutit comme toujours dans le bureau de son supérieur. Toute sa carrière allait être émaillée de ces incidents qui, cependant, se firent de plus en plus rares lorsqu’elle prit du galon. Le diplôme ne fut qu’un répit, avant que les brimades ne recommencent de plus belle dans le commissariat où elle fut affectée. Elle dut tout recommencer depuis le début et se refaire une place amplement méritée. Mais le pire était à venir…

Tenez vos positions. Vous avez autorisation de tirer à vue.
Eva avait parfaitement compris l’ordre qui avait grésillé dans son talkie. Droite comme un i dans sa combinaison anti-émeute, elle gardait sa place dans la ligne de ses collègues. Tout s’était passé si vite, elle avait l’impression que c’était hier qu’ils avaient reçu la brochure leur expliquant qu’une mystérieuse « épidémie » avait frappé dans le monde entier. Elle se souvient avoir regardé vaguement le papier et l’avoir froissé avant de le jeter dans une poubelle de son bureau. C’était des foutaises tout ça, comme la grippe H1N1. Des coups médiatiques des grandes boîtes pharmaceutiques afin de récolter du pognon et de vendre leurs vaccins aux abrutis qui les croiraient. A présent, Eva contemple la horde qui s’avance lentement dans leur direction, inexorablement. Les visages décomposés, les corps en lambeaux, pestilentiels et les gargouillis monstrueux qui sortent de leurs bouches ensanglantées. Cette putain de réalité l’a rattrapée et à présent, elle ravale ce sourire ironique qu’elle a eu au début. Les attaques se sont multipliées, elle en a vu des collègues se faire mordre alors qu’ils tentaient de maîtriser des contaminés. Elle-même n’est passée plusieurs fois qu’à deux doigts de l’infection. Elle a eu de la chance. Sa famille beaucoup moins. Ses parents se sont fait mordre par un de ses frères atteints. Les autres frères sont morts également peu de temps après. Elle n’a plus rien ni personne. Seulement ses valeurs, ses convictions. Elle protégera du mieux qu’elle peut la population. Quitte à en crever. La vague mugissante arrive jusqu’aux forces armées. Eva serre les dents et charge. Elle dégaine sa matraque dont elle sait parfaitement se servir. Elle frappe, encore et encore, défonçant les crânes, ouvrant les cages thoraciques. Ils ne seront jamais assez nombreux… Chaque mort de leur côté donne des forces à l’ennemi. Elle tient, même si elle sait que la guerre est perdue d’avance…

Eva !!! Bon Dieu, réveille-toi, bon sang !!! Viens, il faut sortir de ce merdier.
Elle entrouvre les yeux, tente de retrouver ses esprits. Oui. Coaticook. La horde. Philippe. Chloé. Ils sont restés en arrière-garde. Ils ont été séparés. Des larmes pointent au coin de ses yeux. Ils sont morts, c’est certain. Les militaires leur sont tombés dessus et elle a été touchée. Tyler. Il est là. Les souvenirs anciens se brouillent avec le présent.

Surtout ne sortez pas de chez vous.. Bar… KZZZZZBIIIIZZOOO… Fuyez vers le Nord, surtout si vous êtes encore en vie, fuyez vers le Nord, le froid gèlera les contaminés.
La radio était quasiment HS. Elle avait roulé, roulé dans sa voiture de fonction pendant Dieu seul savait combien d’heures. Passé un certain stade, on ne comptait plus. Tout avait été perdu. Le commandement ne répondait plus, les ordres ne venaient plus. Après avoir essayé de tenir avec ses collègues survivants, elle avait dû se rendre à l’évidence, l’humanité était perdue. Il fallait maintenant survivre, envers et contre tout. Elle n’avait pas le choix. Elle a roulé jusqu’à la frontière canadienne, jusqu’à entendre son moteur protester puis finir par s’arrêter. Alors, elle n’a plus eu le choix, elle est sortie. Elle a marché, encore et encore, se nourrissant de ce qu’elle pouvait trouver. Jusqu’à ce qu’elle tombe sur cet homme, Philippe, et sa fille. Enfin, des personnes. Même si la méfiance prédominait, ils ont fini par se lier.

Eva !! Reste avec moi ! Allez, courage, on y est presque !
Eva rouvre les yeux. Elle est toujours à Coaticook, Tyler la traîne comme il peut pour la déposer sur une surface plane. Elle ignore où elle se trouve exactement. Il la soigne, elle le sent à peine tant elle se sent à nouveau happée par l’inconscience.

Soudain, Eva se réveille brutalement. Elle est seule. Tout ceci n’était qu’un rêve empreint de tant de souvenirs. Elle regarde autour d’elle. Elle est seule. Elle a réussi à s’enfuir. Ses kidnappeurs n’étaient que des pillards comme on en trouve des quantités dans le pays. Elle a été violentée mais elle a enfin réussi la nuit dernière à s’enfuir. Elle qui était à la tête des « Protecteurs » se retrouve sans rien et sans personne. Pour le moment, elle reprend des forces, elle tente de survivre en se nourrissant de baies et de fruits, de petits animaux éventuellement. Elle se cache la nuit dans les arbres pour éviter les mauvaises rencontres. Mais elle sait que tôt ou tard, elle devra retrouver le groupe et affronter la mort de Philippe et Chloé.