Plus rien n'allait. Je me sentais dépérir intérieurement de jour en jour, je me morfondais dans une douleur qui ne me ressemblait pas, et je n'arrivais plus réellement à mettre un pied devant l'autre. Je me suis perdue en chemin. Où, quand, comment exactement, je suis trop noyée dans le vague pour le dire. Sûrement la faute à ce long périple vers le nord, à ce qu'il m'a fait voir et faire. Surtout faire. Une partie de moi a changé, l'autre est morte. Morte. J'essaye en vain de me dire qu'un jour, je pourrai à nouveau regarder ce visage et ces traits dans un miroir, et me dire que oui, ce sont bien ceux de la jeune femme que j'étais il y a encore quelques mois, heureuse et bien vivante, amoureuse et épanouie. Amoureuse, je l'étais toujours. Heureusement. Aucun enfer ne pourra m'enlever ma flamme, mon phare, ma lumière ici où tout m'a été arraché. Mais tout le reste autour était tombé en ruine, cet avenir duquel j'avais osé douté, sans savoir qu'en vérité il ne pourrait jamais exister. Je n'avais que dix neufs ans. J'étais encore si jeune, en vérité. Et pourtant, la vie avait déjà laissé ses marques rouges en moi. Elle m'avait déjà annéantie, par un coup trop brutal, trop puissant, alors que je ne pouvais chercher à m'en protéger, car je ne savais pas qu'il pouvait m'atteindre. Maintenant, il était trop tard pour sauver quelque chose, récolter les cendres, tenter de me reconstruire. Je devais tenter de continuer, dans l'état où j'étais. Je m'accrochais à Ryan, lui qui me donnait encore envie de voir le jour dans cet enfer. Je me sentais faible, et pitoyable de devoir ainsi m'appuyer sur lui. Et Jack... Non. Je tentais d'éloigner le plus possible sa figue de mon esprit, et je fuyais instantanément son regard lorsqu'il se trouvait non loin. Je m'en voulais trop. J'avais trop peur que Ryan se rende compte de quelque chose... Alors qu'il n'y avait rien. Alors que je ne me comprenais pas, et que je me haissais tellement pour cela. J'avais tant de raison aujourd'hui de me détester, de me ronger ainsi jusqu'au sang. Je n'en n'avais pas l'habitude. Je n'avais jamais eu à faire face à de tels problèmes, et je savais ne pas être à la hauteur. Pourtant, je tenais de l'être, j'essayais de toutes mes forces. Elles étaient bien maigres et bien insignifiantes.

J'avais pris l'air. J'avais peur. Je me sentais mal, sans vraiment oser me l'avouer. Personne ici ne m'inspirait confiance, tout particulièrement ce type cinglé qui avait décrété mon esprit « pur ». Ca ne m'avait pas rassuré du tout ; si ça voulait dire que j'étais au point de devenir aussi folle à lier que lui... Et tous les autres avaient tout autant l'air d'illuminés que lui. Pourquoi étions nous tombés sur eux ? Nous n'avions plus rien, nous avions besoin d'aide. Mais pourquoi eux ? Il fallait que je respire. Nous étions partis, Ryan et moi. Pas longtemps, pas vraiment bien loin, mais j'avais besoin de me retrouver seule, seule avec lui. Voir si j'arrivais à retrouver un peu de moi même... Ou simplement pour respirer un peu. J'avais besoin de lui, sa voix, son sourire, même s'il était tout aussi usé que le mien, ou simplement de sa présence. Mais j'avais besoin de lui, de nous. Je n'avais pas été vraiment bavarde. Je ne savais pas si ça arrangerait vraiment les choses. S'il était possible de me relever de la chute que j'avais faite. Je ne voulais croiser le moins de monde possible, je ne les aimais pas, et je ne pourrais cacher ma méfiance éternellement. Je me tenais près de lui, comme si me séparer de son corps aurait pu faire cesser mon cœur de battre. Nous revenions sur nos pas, finalement, vers la bâtisse que nous occupions. Jusqu'à ce que je me rende compte que nous allions droit vers son père.

Je me mordais la lèvre, le plus discrètement possible.

Cela ne faisait que quelques jours que nous étions là, 4 ou 5 jours peut-être… Même les journées me paraissent irréelles. Elles se ressemblent toutes… Et depuis qu’on est avec eux, c’est encore pire. On n’a pas à surveiller tout ce qui bouge, à se demander comment on va survivre jusqu’au lendemain,… Oui, c’est une bonne chose. Oui, on peut se reposer. Pourtant, je ne m’y sens pas à l’aise. Et je sais que Beth non plus.
Non, je ne suis pas persuadé que ce groupe d’illuminés soit notre avenir. Je l’espère. Ils sont tous tellement… fanatiques et sectaires. On a eu de la chance, je m’en rends compte. De tomber sur eux. Que leur ‘manitou’ nous déclare assez « purs » pour qu’on soit acceptés… Parce qu’on n’avait vraiment plus rien, on n’aurait sans doute pas tenus bien longtemps… Mais je n’arrête pas de me demander ce qu’il se serait passé si on ne l’avait pas été, purs… ils nous auraient juste mis dehors ? Ou ils nous auraient tués ? Mieux vaut ne pas le savoir sans doute.

Et de toute façon, dans l’absolu, pour le moment, je m’en fous. J’essaie simplement de regarder devant. De trouver une issue, une solution. Quelque chose qui puisse nous tirer de là.
Tout ce qui m’importe, c’est Beth. Elle essaie de le cacher. Elle essaie de se montrer forte. Pourtant, elle a l’air si… fragile. Perdue. Je me rends bien compte de combien tout cela l’opprime. Et même si elle n’en parle pas, je la connais assez pour savoir qu’elle se sent coupable pour chaque coup qui part de son fusil. Ils sont déjà morts, ils ne sont plus ce qu’ils étaient. Ce sont des zombies, ouais comme dans les films. Malgré cela, je sais qu’une partie d’elle s’éteint petit à petit. Et ça, ça me fait plus souffrir que tout ce qui peut se passer autour.
Je fais ce que je peux pour l’aider. Je suis là, près d’elle. J’essaie de la faire sourire. J’essaie de la rassurer. De lui rappeler à chaque instant qu’elle n’est pas seule, que je suis là, que je l’aime toujours autant. Je sais pourtant que cela ne suffit pas. Je ne dis pas que je ne l’aide pas, mais… elle n’a plus cette petite flamme dans le regard. Oui, je comprends à quel point tout cela… tout ce qui nous entoure, ce que le monde est devenu… nous a tous fait changer. Et même moi, je ne tiens qu’en grande partie que pour elle. Mais j’ai l’impression de la perdre… ou qu’elle se perd elle-même. Et ça me terrifie.

Elle compte toujours sur moi. Ça veut au moins dire que j’arrive à la rassurer non ? Un peu… Si elle accepte au moins de se reposer sur moi, de me laisser prendre soin d’elle, peut-être que…
Elle a voulu sortir. On est allés faire un tour, tous les deux. Elle n’a pas dit grand-chose, je parlais pour nous deux, sans rien dire de bien intéressant. Et la sentir à mes côtés, moi, ça me suffit. Je passe mon bras dans son dos, la ramenant contre moi, juste… pour me rassurer, pour l’avoir, pour la protéger de tout.

Alors qu’on rentre, j’aperçois Jack plus loin. Il sortait ou il nous cherchait ? P’tre rien de tout ça, de nous trois, c’est lui qu’à l’air le plus à l’aise ici… il s’adapte plus vite…

« Salut Jack. Ca va ? »

Qu’est-ce que vous voulez que je dise ? Plus grand-chose de neuf ou de super à annoncer…
J’embrasse Beth sur la tête, avant de sourire à mon père.

Première mission pour les givrés du coin, aujourd'hui. Aller chercher de la bouffe dans le patelin d'a côté. J'avais laissé les gosses, mais uniquement parce que je savais que Juliette était pas loin. J'avais confiance en cette femme. Oh, confiance relative bien sûr. Je sais que si elle doit choisir entre mes gosses et les siens son choix sera vite fait, mais je m'en fous. Sauf en cas d'attaque de horde, comme nous en avions croisé autour d'Alleghany, mais ça on n'y pouvait pas grand chose malheureusement. Ce qui comptait dans l'immédiat, c'était entretenir les réserves du groupe. Alors, j'avais suivi le chef et des cardinaux. Ouais. Celle là elle est de moi. Pas mal, hein ? Bref. J'avais sué toute la journée leurs conneries d'extrêmistes religieux et complètement siphonnés, ces gens avaient pété un boulon pendant la Grande Panique. Pourtant, certaines choses qu'ils pouvaient dire avaient du sens. Après tout, des morts qui marchent, ça a une résonnance plutôt biblique au fond, non ? Bref. On avait avancé, encore et encore, jusqu'à tomber sur une famille. Un père, la mère, et un gosse en bas âge. On les avait désarmés mais pas le droit de faire du mal. De toute manière, ça me serait pas venu à l'idée. Pendant qu'on fouillait les environs, le chef avait interrogé les gens. Il avait gardé son flingue à la ceinture tout ce temps. Hormis quelques conserves de corned-beef, j'avais pas trouvé grand chose. Quand on était revenus, plus de traces de la petite famille mais plein de nourriture, et le chef disait que ces gens avaient été impurs.


Je n'avais rien dit tout au long du chemin du retour.


Je savais que c'était pas juste, mais quand même. On risquait tous notre peau. Mieux valait être du côté de ceux qui ont des flingues et qui savent s'en servir, pas vrai ? Et puis si on est tous condamnés, autant être entouré de Son Prophète pour faire le grand saut... M'enfermant dans le mutisme le plus complet, je terminais une flasque de whisky trouvée dans la boîte à gants d'un SUV en bordure de route, méditant sur la vie, l'horreur de la survie, et cette putain d'envie d'un bon gros steak bien saignant. Ils fontpas ça, dans cette putain d'Eglise ? Et voilà qu'en me retournant, je vois le fiston et sa copine avancer vers moi. Beth a l'air dans le brouillard ; je sais qu'elle est pas fière de ce qu'elle a fait sur la route. Ryan donne le change. C'est un brave garçon. Sérieusement mais de la même attitude nonchalante et ironique que d'habitude, je rétorque.


| C'est « Papa » et oui, ça va bien, on fait aller, on profite du temps avant qu'il ne pleuve à nouveau... Et vous les jeunes ? |


J'évite soigneusement Beth du regard ; la dernière fois que nous nous sommes vus elle m'a embrassée et j'ai pris sur moi de la repousser avant de la faire grimper aux rideaux.


| Vous vous êtes pas trop éloignés j'espère? |

Je ne quittais pas Ryan d'un centimètre. Mon attitude me répugnait, dans un sens, mais je n'arrivais pas à lutter contre. J'étais trop perdue, trop brisée. Tout cela parce que je n'avais pas eu le temps de voir le coup venir, et qu'il avait été tellement brutal... Il ne me restait plus que lui désormais, et c'était suffisant pour me donner un peu envie de continuer. A peine assez, parfois, dans les moments les plus noirs, mais assez tout de même. Son visage, son sourire. Mais atténué, déchiré, je me débrouillais toujours pour le retrouver. Et taire ces doutes qui n'avaient plus lieu d'être, ne pas lui avouer que oui, j'avais osé douter de nous. De cet amour qui maintenait aujourd'hui les battements de mon cœur. On nous avait tout volé, mais il restait cela, comme un animal chétif que je protégeais avec toute ma force, ma maigre force, si dérisoire à côté des monstres qui me menaçaient. Et je ne voulais pas de la violence, du feu, de cette monstruosité dont j'avais moi même dû faire preuve. Le monde me hantait, le monde me persécutait. Je trouvais la chaleur là où elle avait toujours été, et où elle ne s'éteindrait jamais. Pas tant que nous vivions. Il le fallait. Mais cette chaleur ne m'éclairait pas assez pour me permettre de me relever. Parmi ces cinglés, fanatiques religieux. Un mec qui s'auto proclame pophète, et rassemble une petite secte autour de lui. Mais il était intelligent. Nous devions nous ranger, sinon nous mourrions. Ils nous tueraient ou la nature s'en occuperait pour eux. C'était à peu près la même chose. On obéi à ceux qui ont la force brute désormais, et cela me dégoute. Ce n'est pas le monde, la vie que je veux. Celle pour laquelle je suis faite. Je ne sais pas combien de temps j'arriverai encore à y avancer, mais j'essaierai. Au mieux. M'accrochant à cet amour, respirant pendant les moments de solitude, comme celui qui venait de se passer.

Trop court.

La vue de Jack me perturbe. Je sais ce que j'ai fait, même si je ne suis toujours pas sûre que ce soit bien moi. Peu importe, car je ne peux l'effacer. Lui non plus. Ca fait trop mal. C'est trop bête, aussi. Qu'ai-je fait pour en arriver là ? Suis-je en train de sombrer dans la folie en même temps que ce monde ? Je ne veux pas. Je ne le dois pas. Je m’accrocherai, autant que je le pourrai. Je ne dirai rien à Ryan, et j'espère que son père en fera de même... Je ne vois pas pourquoi il ferait autrement. Le tout est qu'il ne remarque rien, et ce n'est pas facile ; je fuis les regards, je suis trop faible pour les affronter. Je n'ai peut être un peu peur de ce que je vais y voir. Ou peur de... De je ne sais pas. D'affronter mon erreur, ma bêtise. Celle à laquelle m'ont conduit les horreurs que j'ai vécues. Alors, qui sait à quoi vont me mener celles à venir ? Je n'en n'ai pas la moindre idée. Je ne préfère pas imaginer. Penser, c'est trop douloureux. Je ne suis plus celle que j'ai été. Je suis... Je ne suis rien. Une pauvre femme, dépossédée, perdue, brisée. Il nous demande si ça va. J'acquiesce.

« Ca va aussi. Vous avez trouvé de la nourriture ? »

Je savais qu'il était parti, avec le reste du groupe, en mission pour remplir un peu les caisses.

« Non, on ne s'est pas trop éloignés... Il ne s'est rien passé, pas de Zack dans les parages. »

Je jette un regard à Ryan, cherchant son approbation. Je n'avais plus vraiment besoin que l'on s'occupe de moi, mais je ne pouvais pas rembarrer Jack. Et je préférais planter mes yeux dans ceux de Ryan plutôt que dans ceux de son père.

Je garde Beth près de moi. Autant pour me rassurer moi, que pour la rassurer elle. Je ne le dirais pas. Elle me pense tellement… fort. Solide. Enfin, elle doit bien s’en douter. Peut-être. Et je le serais de toute façon aussi longtemps que nécessaire. Et c’est de l’avoir qui me rend fort, donc l’un dans l’autre… Elle est et restera mon unique but. C’est sans doute con à dire, mais je veux juste qu’elle aille mieux, qu’elle s’en sorte. Quoique ça me coûte.
Quant à lui accorder… non, quant à profiter de moments avec elle, de juste être là avec elle et d’oublier même momentanément le reste, c’est le plus agréable et le plus facile.
Si  je pouvais l’aider ou la soutenir, ce serait encore mieux. Je ne sais pas trop quoi faire, elle ne me parle pas énormément. J’ai l’impression qu’un tas de trucs l’oppresse, mais elle ne me dit rien. Alors j’essaie juste d’être là. Je fais mon possible.

Alors qu’on rentre, on tombe sur Jack. Je lui demande comme ça va, mais non, jamais content. Je grimace quand il me reprend et lève les yeux au ciel. Sérieux. Daniel a été mon père pendant 18 ans. Lui, j’l’ai toujours appelé Jack… Sauf p’tre au tout début, quand je pensais encore qu’il pouvait se comporter comme un père.
Je vais pas changer parce qu’il est toujours là. Ouais, et qu’il nous a sauvé aussi accessoirement ok.

« Ouais. On en a déjà discuté. »

Je retrouve mon sourire, et le regarde quand Beth lui demande pour la nourriture. Ce ne serait pas du luxe. Ils ont beau nous avoir ramassés, ils sont nombreux. Je me demande comment ils font pour nourrir tout ce beau monde… il ne doit pas rester grand-chose dans les environs.
Et je tourne la tête vers Beth quand elle lui répond à nouveau, avant de me regarder. Je lui souris et l’embrasse sur le front. Je confirme à Jack.

« Non, on a pas été loin. Et on profite des derniers jours de beau temps. Tant qu’on est tranquille et qu’on peut se le permettre. »

Je regarde derrière lui, suivant du regard les autres qui rentrent plus loin. J’attends qu’ils soient tous partis pour continuer.

« On a juste été faire un tour à deux. Histoire de s’éloigner un peu… d’eux. C’est limite s’ils ne me feraient pas plus flipper que les zacks. Au moins, avec eux on s’est à quoi s’en tenir… alors que ceux-là… » J’hausse les épaules.
« Et comme a dit Beth, on en a vu aucun, de près ou de loin, de zacks. »

Je regarde à nouveau Jack.

« Et toi, ça s’est passé comment ? Avec eux ? »

Mon pouce caresse inconsciemment la hanche de Beth. Encore une fois plus pour me rassurer moi qu’elle-même dans le fond…

Elisabeth a toujours le même air d'écorchée vive sur le visage. Blessée permanente, j'étais pompier, je reconnais les signes du stress post traumatique pour l'avoir déjà vu chez des coll:ègues ou chez des gens qui ont trop mangé dans la gueule sans que l'esprit ne soit tout à fait capable de suivre. Je ne sais pas si ça s'arrangera. Probablement si elle doit survivre. Cet air de souffrance et de détresse constante me blessent, car cela signifie que j'ai mal fait mon job. Protéger mon fils, par extension celle qui est ma future belle fille. Malgré ce qu'elle a fait. Malgré ce que j'ai fait moi même en retour. C'est comme ça. Il faut sans arrêt travailler à s'améliorer quand on est père, j'ai appris cette cruelle vérité sur la route, chose que j'aurais dû découvrir vingt ans plus tôt. On ne se refait pas, et Jack Tannen, bien que courageux et serviable, a toujours été un peu con con. Je regarde la jeune femme jusqu'à ce qu'elle redresse son propre regard avant de prendre la parole. Et me vouvoie, comme depuis le début du trajet. Ce qui me fait sentir plus vieux encore que je ne le suis, ce qui ne me va pas du tout comme vous pouvez l'imaginer. Regardant mon fils, je réponds à Beth pourtant.


| Non, mais le groupe a l'air d'avoir encore ce qu'il faut dans ses stocks pour que l'on survive tous bien comme il faut pendant encore un petit moment. Quant au reste, j'ai remarqué aussi que l'endroit paraissait bien plus sécurisé que toutes les étapes que nous avons faites en route pour ici. Même si ce n'est qu'un abri provisoire, il semble en valoir la peine. |


Et voilà que le fiston fait sa tête de mule. Je lui souris malgré moi, amusé par son côté très têtu. Hérité de sa mère, forcément. IL n'y a pas plus conciliant que votre serviteur, vous pouvez me croire.


| Et on en parlera encore jusqu'à ce que t'arrête de me faire passer pour un vieux. Comme Beth. Pas de vouvoiement, pas de « Jack ». On n'est pas des étrangers... |


Carrément que non, avec tout ce que nous avions été forcés de faire ensemble sur la route. Se serrer les coudes pour survivre. Je change de sujet quand on m'interroge un peu plus encore sur mon escapade, bien que je le fasse de la manière la plus malhabile possible.


| Et genre, vous êtes juste allés vous promener dans la campagne, comme ça ? On n'essaierait pas de me faire un petit fils dans notre situation, pas vrai? |


Et là, je me dis que je suis un grand crétin. Bordel. Je rechange encore de sujet, tout aussi mal aisément.


| J'ai pu parler un peu avec une femme du groupe, une française. Elle est arrivée ici peu avant nous avec son fils, un grand gaillard de votre âge. Plus ou moins. Lui ne décroche pas un mot, mais elle elle a l'air d'une sacrée dure à cuire. Quoiqu'on en pense, on a eu du pot de tomber sur ces gens. |

Je restais désespérément blottie contre Ryan. C'était bête, comme attitude. J'en avais conscience. Mais j'avais l'impression de me raccrocher à quelque chose, comme ça. Un peu de tendresse, de chaleur. De vie, tout simplement. Il était ce qui me permettait de tenir debout. J'avais juste besoin qu'il soit là. Simplement ça. De savoir qu'il restait encore quelqu'un, une petite lumière dans le noir... Que je comptais encore un peu. Il paraissait solide, pourtant je me doutais qu'il souffrait, lui aussi. Rien n'était facile pour personne. Je ne suis plus une gamine, j'ai cessé de croire au beau prince charmant tout puissant et compagnie. Je m'en veux quelque part d'accaparer ainsi son attention et sa force, sans rien avoir à lui offrir en retour. Juste un pauvre animal chétif, apeuré. Avec pour seule force un cœur détruit, qui ne tient que par un petit lambeau d'amour, par la présence de la personne tant aimée. C'est tout ce qu'il y avait à dire. Je l'aimais. Je voulais croire qu'un peu d'amour comme le notre était encore possible dans ce monde. Sinon... Sinon je n'aurai plus rien. J'avais déjà assez menti à Ryan, et rien que d'y penser j'en avais mal. J'avais douté de nous, en voyant cette bague, et... Jack.

Croiser son regard, c'était comme brûler un peu plus mon amour propre. Je ne savais pas ce qu'il en était pour lui, et en fait... Je ne voulais même pas savoir. Je m'en fichais. Il n'y avait rien, strictement rien. Une erreur, c'est tout. Comme si cet instant au bord du lac n'avait jamais existé. C'est déjà assez tendu, par moments, pourquoi en rajouter ? J'estime Jack, pourtant. Mais je vois ma folie, quand je le regarde, quand je pense à ces lèvres sur lesquelles les miennes se sont posées par pure inconscience. J'acquiesce, alors qu'il répond à ma question sur leur petite expédition.

« De toute façon, il n'y a plus rien de vraiment sûr. Je suppose qu'on doit s'estimer à peu près chanceux. »

J'en profite pour regarder ailleurs, alors qu'il s'adresse à Ryan. Le fils qui ne veut pas appeler son père « papa ». Ca serait presque risible, mais la situation ne le permet pas. J'ai du mal à rire, depuis que j'ai vu la mort, de toute manière. Depuis que je l'ai donnée, qu'elle est moi. Mais l'homme m'inclut dans le lot. Chipoter pour un vous ou pour un tu... Enfin, si ça lui fait plaisir. Même si avec ce vous, j'avais l'impression de garder un peu de distance avec lui. Plus des étrangers. J'essaie de ne pas y voir d'allusion... Je vire parano, maintenant. Je lâche un sourire, tente une petite pointe d'humour d'une voix moins assurée qu'avant tout ça.

« Et je dois vous appeler beau papa, aussi ? »

Par contre, sa tentative d'humour à lui, j'arrive moins à la digérer. Pourtant, je me doute que ça ne part d'aucun mauvais sentiment ou rien. Mais bon, comme si j'avais envie de tomber enceinte alors que j'ai déjà du mal à m'occuper de ma propre personne... Bordel. Je fuis encore plus son regard, me mords discrètement la lèvre. Hausse les épaules. Change de sujet, et vite. Je suis pas non plus très convaincue par le nouveau qu'il nous lance.

« Le jour où ils se mettront à nous juger « impurs », on le sera moins... Elle est aussi illuminée qu'eux, ou elle a encore un peu de sa tête ? »

Je vois une ombre traverser le regard de Jack quand il regarde Beth. Ouais, je ne suis pas le seul à constater qu’elle ne va pas bien, forcément. Peut-être s’en veut-il aussi, tout comme moi. Parce qu’il se prend d’un coup pour le père de l’année. Ok, doit plus y en avoir tant que ça, des pères, donc ce n’est pas déconnant, mais quand même. Beth est… bon, d’accord, c’est totalement macho et égoïste, elle me taclerait sans doute si je le disais à haute voix, mais Beth est mienne. C’est moi qui suis responsable d’elle. Enfin, après elle-même évidemment. Quoiqu’il en pense, il n’est pas responsable de nous.
Qu’importe.
Je grimace alors qu’il répond. Oui, ils ont du stock. Oui, Beth a raison, on a de la chance. Pourtant…

« Oui. Peut-être. Mais ils sont nombreux, je ne suis pas sûr que le stock dure si longtemps que ça…
Et oui, pour le moment, il n’y a pas l’air d’avoir plus de zacks que ça aux alentours. Mais ça ne veut rien dire, ça va tellement vite… »

Je lui réponds, en l’appelant Jack, il râle. Forcément. Je le sais que ça ne lui plait pas. Mais j’y peux rien.
Il sourit toutefois alors que je tente de disperser cette énième conversation à ce sujet. Et il inclut Beth. Elle le vouvoie et alors ? Oui, bon, ok, depuis le temps qu’on voyage avec lui, je peux comprendre que ça le gêne… Dans le fond, je peux comprendre que ça le fasse chier que je l’appelle Jack. Mais comme dit, j’y peux rien… presque rien…
Je souris quand elle lui répond. Sourire un minimum crispé, vu que ça aurait pu effectivement être le cas, le coup du beau-papa… Mais, ce n’est plus vraiment d’actualité. Ah non, je n’ai pas changé d’avis. Mais honnêtement, maintenant… qu’est-ce que cela changerait ? Ce serait encore plus symbolique qu’avant… Et puis… que penserait-elle ? Elle est tellement… troublée, égarée… Penserait-elle ne pas avoir le choix ? Ou que je suis totalement fou ? Probable. J’en sais rien. Je veux pas l’embrouiller davantage.

« Je ne te fais pas passer pour un vieux parce que je t’appelle Jack, et ça ne veut pas dire qu’on est des étrangers, Jack. » Je lui souris. « Tu es vieux ! C’est aussi simple que ça. »

Non, ce n’est pas méchant… Faut juste qu’il comprenne. C’est mon père, même s’il était jeune quand maman est tombée enceinte. Maintenant, il est vieux. Surtout pour nous. Logique. Je souris, amusé. Et grimace devant sa tentative d’humour. Jack dans toute sa splendeur. Et il rechange de sujet. Merci. Parce que c’était stupide. Et carrément déplacé. Mais ça ne m’étonne même plus ce manque de… jugeote de sa part.
Ouais. Sceptique je suis. Comme Beth visiblement. Pour un peu que la gentille femme française soit jolie, ça aura suffi à Jack… Alors bon, son jugement…

« Beth a raison. Ils sont pas assez… ils sont trop instables pour qu’on puisse vraiment être tranquille. Si jamais ils s’aperçoivent qu’on n’est pas totalement…  aussi fanatiques qu’eux, ça risque de poser problème…
Et s’il y en a une dans le groupe qui l’est moins que les autres, c’est cool, mais… je ne suis pas certain que ton jugement soit très objectif quand il s’agit de femmes. » Je souris. « Sans vouloir t’offenser hein.
Mais pour le moment, oui, on a eu de la chance. On est toujours en vie. C’est le principal, non ? »

Je sers Beth contre moi. Oui, c’est tout ce qui compte.

Je me rendais compte que cette histoire sentait mauvais.J'avais un mauvais pressentiment. Comme si un nœud coulant passé autour de mon cou se resserrait, lentement, sûrement. Ca avait commencé par cette bêtise avec Beth et ça continuait. Ca ne voulait plus s'arrêter. Il y avait eu l'intégration dans ce nouveau groupe, et maintenant les premiers sales trucs que j'avais pu remarquer au sein de celui ci. Pourtant, je ne me sentais ni capable d'affronter cette marche du destin pas plus que je me sentais prêt à m'évader. C'était de ces situations où vous vous retrouviez à prier pour que quelque chose, n'importe quoi, vous sorte de votre situation sans qu'il n'y ai de coup à manger dans la tronche. Et le pire dans tout ça... C'était sans doute que ça n'allait pas s'arrêter de dégénérer. J'avais le sentiment que quelque chose allait arriver. Elisabeth... Elle m'attirait toujours. Et si j'avais bien l'impression que la culpabilité se lisait sur ses traits, j'étais certain de sentir aussi un malaise, peut être né d'un désir qu'elle pouvait nourrir elle aussi. Est ce que cette erreur pouvait se reproduire ? J'espérais que non. J'espérais d'avoir la force de ne rien initier ou continuer qui soit préjudiciable à mon gamin. Mais ce n'était absolument pas certain que cela fonctionne. Je savais que les femmes avaient toujours été une faiblesse chez moi, quelque chose que j'avais toujours eu du mal à rationnaliser ou à combler, d'une maniè-re ou d'une autre. Je m'étonnais à avoir redressé le regard vers Beth, pour le détourner aussitôt.


| On a le cul bordé de nouilles oui, ça, c'est clair. On n'a pas été nombreux à avoir réussi à passer la frontière, mais faut pas relâcher la pression pour autant. Arrêter de s'inquiéter, c'est là qu'on fait des erreurs. |


Comme dans mon boulot de pompier. Certains s'accoutumaient bien trop au danger pour que ce soit sain pour eux comme pour leur carrière. Ces gens là finissaient toujours par provoquer des incidents. J'offre sans y réfléchir un super sourire d'ado à Beth quand elle essaie de plaisanter, même si ma vanne suivante lui a moins plu.


| Ca, me dire que je suis beau, c'est juste bon pour me flatter l'égo! |


Sa question suivante cela dit, si elle m'inquiétait assez, méritait réflexion. Déjà, mon gosse me tance et je lève les yeux au ciel. Un jour, il m'appellera son père. J'aimerai bien entendre ça au moins une fois dans ma vie avant de mourir, et ça risquait carrément d'arriver bientôt.


| Un peu de respect, p'tit. J'te rappelle que cette expérience a aidé à sauvegarder la totalité de ta belle gueule... |


Je me gratte ensuite la barbe le temps de réfléchir à ce qu'ils me disent. Ouais,n c'est pas con tout ça, mais a-t-on vraiment les moyens de cracher sur des gens, des stocks, une protection? Je finis par trancher.


| Tant qu'on reste soudés et qu'on leur donne pas de raisons de douter de nous, franchement, je crains pas grand chose. Et carrément si que c'est objectif ; elle et moi, on se tutoie pas ! C'est une putain de survivante, elle a traversé l'enfer pour sortir son fils. Si elle a pu rester là, avec les autres, je suis sûr qu'on le peut aussi. Et si jamais les choses doivent vraiment se gâter, rien nous empêche de faire le mur... |

Franchement, un vous ou un tu, quelle différence ? On est plus des étrangers quoi qu'il en soit. Vraiment, merci de nous le rappeler Jack. Je me doute que ce n'était pas à cela qu'il pensait en nous disant ça, mais je ne peux m'empêcher de sentir le couteau remuer dans la plaie. Oui, d'une part, j'aimerai que nous soyons toujours des étrangers. Ne jamais s'être connus, d'une manière ou d'une autre. Ca voulait dire... Ca voulait dire que le monde tournerait toujours comme avant. Le passé était devenu comme un doux rêve à mes yeux, et c'était comme si la réalité de ce jour était celle qui avait toujours existé. Tant le reste me semblait loin, impossible. Tant le bonheur que j'avais connu, ces sourires, ces rires, je n'avais jamais été capable de les donner ou de les recevoir. Cesserais-je seulement un jour de m'apitoyer sur mon sort ? Sûrement pas. Je ne savais tout simplement pas comment regagner un peu des beaux jours perdus dans cet enfer, alors je les pleurais. Comme une idiote. Je m'accrochais à la seule personne qu'il me restait encore sans rien lui rendre en échange, et même si cela me dégoutait je n'arrivais pas à faire autrement. Non. Ce qui me dégoutait le plus, c'était Jack. D'avoir tant de honte à cacher à Ryan. J'ai envie de... Je ne sais même pas de quoi j'ai envie. De mourir. De remonter le temps. De m'enfuir loin. De m'enterrer dans mon coin avec Ryan et d'y attendre la véritable fin du monde. Peut être un peu tout ça. Mais pas d'être là, à fuir le regard brûlant de Jack, à faire semblant de montrer un peu d'envie de vivre, en espérant qu'à force, elle allait revenir pour de bon. J'acquiesce. EN même temps, comment arrêter de s'inquiéter ?

« Zack peut se pointer à tout moment, c'est sûr. On finira bien par l'entendre venir. Il faut espérer que le groupe soit assez organisé pour réagir rapidement, et qu'ils ne se mettent pas à faire les délicats à vouloir épargner les zombies... S'il y a bien une de leurs idées à laquelle je ne pourrai jamais adhérer, ça doit être celle là. »

Oui. Même si je répugnais appuyer sur cette détente, entendre la détonation comme une nouvelle déchirure en moi, et l'homme, le zombie, exploser devant moi... C'était atroce, oui. Mais ce qui l'était encore plus, c'était que je le faisais bien, et que je ne pouvais pas m'empêcher de le faire. Quand la mort se présente à vous, votre instinct vous dicte de ne pas la laisser vous faucher. Soit vous avez les moyens pour, soit vous ne les avez pas. Je les avais. Alors, survivre avec ces plaies ou mourir de cette abomination de la nature, je n'avais pas à choisir.

Je soupire et souris à la fois. Putain, comment il peut sortir des vannes comme ça alors que le monde part en couille ? Alors que moi, je reste bloquée par cette gène qui m'empêche de croiser son regard ? Oh, je vois bien qu'il est gêné lui aussi, mais il a toujours la langue aussi pendue.

« Oh, je resterais sur Jack alors, je ne veux pas qu'il grossisse à chaque fois que je vous appelle et que l'on vous y perde ! »

Oui, ok, c'était le truc le plus naze que je n'ai jamais dit. Laissons tomber. Ok, je reconnais qu'il est... séduisant... mais je me refuse à y penser. Je me refuse à me l'avouer, parce que ça n'a aucun sens autre que celui de me détruire pour de bon. J'aime l'homme contre lequel je me tiens, je l'aime jusqu'au bout, de toute mon âme et de tout mon être. Point. Barre. Mais pourquoi, même dans une tentative d'humour je dois en revenir à ce que j'avais fait avec Jack ? Rendez moi amnésique. Ce sera plus pratique. Je lâche tout de même un petit rire alors que Ryan balance de but en blanc que l'autre est. Oh, ces deux là, pas possibles... L'histoire de la française n'est pas mal non plus. J'ose me dire que s'il finit avec une nana, ça m'aidera à passer l'éponge... L'espoir fait vivre. Ou survivre. Pour l'instant, oui, uniquement survivre. Je manque de répliquer que lui et moi non plus, on se tutoie pas. Mais je me mords la lèvre, encore plus gênée que jamais. Bon. Il l'admire. Elle a du cran. Je serre la main de Ryan.

« L'enfer, on l'a tous traversé. Et si c'est une dure à cuire, elle peut aussi lever l'ancre à l'improviste quand elle jugera le moment venu. A moins qu'elle fasse le mur avec nous, si c'est ça l'idée ? »

Ouais, Jack avait sans doute raison. On avait de la chance. On était vivant. On était ensemble. On avait de quoi survivre. Même si ok, ce groupe était loin d’être une panacée à mon humble avis. Mais je n’allais certainement pas faire la fine bouche. Donc ouais, on avait jusqu’à présent le cul bordé de nouilles. Je souris et grimace quand ils enchaînent.

« T’inquiètes Jack, on n’est pas près de se reposer tranquillement au coin du feu.
Et je ne pense pas qu’ils soient cinglés à ce point-là, Beth. Ils ne nous ont pas parlés de conneries de résurrection ou trucs dans le genre non plus…
Et s’ils sont pas assez rapides, nous on le sera. On se protège, on se fraye un chemin et on se casse. »

Quoi ? Je n’allais pas me laisser bouffer, laisser Beth ou Jack… et eux non plus de toute manière. On ne survit pas pour se laisser avoir à cause de… ouais, bon, d’accord, ils nous avaient sauvés. Si je pouvais, je les aiderais, mais certainement pas au détriment de ma famille. Même si je me prends la tête avec Jack. Même si pour ça, je suis obligé de laisser d’autres se faire avoir.
Oui, j’essayerais d’éviter. Mais en étant honnête avec moi-même, à part Beth, Jack et moi, les autres, je m’en tape.

« Comme si ton égo avait besoin de ça ! » Je lui souris. Jack reste Jack. Le con côté, c’est qu’il a au moins le mérite d’essayer de plaisanter et de détendre l’atmosphère. Même si parfois il foire. Peut pas réussir à chaque fois hein. L’exploit est d’autant plus grand par les temps qui courent, je le reconnais.

Ce n’est pas nouveau, que je l’appelle Jack. Il a peur de quoi ? Qu’on le prenne pour ce qu’il est, à savoir un mec qui a gamin de 19 ans ? Au bout d’un moment, jouer les gosses ou même se prendre pour l’un d’eux, en ayant 40 piges… Non, bon, d’accord, ce n’est pas si vieux. Mais si lui a l’impression qu’on le fait passer pour un vieux… ben tant pis pour lui. Il croit qu’il se sentirait moins vieux si je l’appelais p’pa ? Sérieusement ?
Mais comme à chaque fois, le voilà qui remet ça sur le tapis, comme si c’était la chose la plus importante au monde, comme si c’était la décision du siècle.

« Oui. Tu nous as sauvé la vie. Moi et ma belle gueule n’oublions pas tu sais. Même si je t’appelle Jack. Sans toi on ne serait pas là. Donc je loue et remercie chaque jour ta si grande expérience Jack. »

Mais même son expérience ne nous sauvera pas si leur manitou change d’avis à notre sujet. Même s’il a beau dire qu’ils ne sont pas tous aussi allumés. Le fait qu’il s’agisse d’une femme ne m’étonne qu’à moitié, ne me donnant pas entièrement raison en son jugement pour le coup. Beth me serre la main avant de répondre. Je caresse le dos de sa main de mon pouce. Elle a raison.

« Beth a raison. Tous ceux qui restent ont traversé l’enfer. On est tous plus ou moins devenu des survivants prêts à tout.
Et que tu la tutoie ou pas c’est pas le souci, tu le sais.
Mais ok. Elle a sauvé et protégé son gosse, comme t’as pu faire avec nous. J’espère que t’as raison, que ça se passera bien, qu’on pourra rester et qu’on trouvera rien de pire à l’intérieur que ce qu’on pourrait trouver dehors.
Et ouais, au moindre problème, on se casse, on ne cherche pas à comprendre. Quant à ce qu’elle vienne ou pas… sans la connaître, je ne pense pas que ce soit une super idée. »

Je secoue la tête. Quoiqu’il pense savoir sur elle, ce n’est pas assez. Et quoiqu’il en dise, survivante, dur à cuire, maligne ou entraînée, on ne la connait pas. Et ouais, son jugement sur une femme me laisse dubitatif.

« On verra. On attend de voir comment ça évolue de toute façon. Tant qu’on peut rester ici, en relative sécurité, on ne cherche pas à comprendre. » Je regarde Jack, souriant à moitié. « Quant à ta française… Fais pas de conneries avec elle, on ne sait jamais… » Ouais, c’est plutôt les parents qui font la leçon en général. Ouais, je trouve ça drôle. « Si elle décide de se barrer, ou que nous on se barre… on avisera. »

HRP:

J’avais un peu de mal à temporiser avec les inquiétudes qui émergeaient des discussions de mes « enfants ». Il semblait évident maintenant qu’ils avaient bien du mal à se satisfaire de la situation présente. N’importe qui le comprendrait dans tout ce qu’ils avaient à ajouter au récit de ce que nous vivions. Déjà, les jeunes d’aujourd’hui vivaient la religion très différemment des gens de ma génération. Si on n’était plus devôts comme avaient pu l’être mes propres parents ou grands parents, nous étions attachés à quantité d’usages, de coutumes et de traditions, nés de la religion. On ne se refait pas, dans le monde qui est le nôtre, et votre serviteur moins que quiconque. Quoiqu’il en soit, ces gosses n’avaient jamais eu à se débrouiller par eux-mêmes depuis le début de leur existence, il était donc difficile pour eux de se rendre compte de la chance que nous avions eue de tomber sur ces gens, même s’ils sont brutaux et excentriques. Mieux vaut être avec ces types bizarres qu’être dehors, le ventre vide, à se faire courser par des saloperies de morts-vivants. Vous pouvez me croire ! Mais allez leur dire ça, à eux, qui ne peuvent pas vraiment concevoir l’importance de Dieu et de tout ce préchi précha pour ces gens ? Je ne croyais pas plus qu’eux à tous ces salamecs, mais cela ne voulait pas dire que je ne comprenais pas ou que je ne pouvais pas concevoir ce recours à une explication divine aux événements qui nous touchaient. Je haussais les épaules.


| Je nous mettrais pas en danger pour récupérer des Z en vie. Et sur le terrain, je peux vous dire qu’ils font pas tant la fine bouche. Ryan a raison. On attend et on voit. On profite des stocks, on profite de la protection, mais si ça commence à sentir le roussi on met les bouts. Je ne pense pas de toute manière que ce soit dans les objectifs du groupe de bouger, alors que les nôtres sont d’aller plus au nord, suffisamment loin pour que les contaminés gèlent sur pied lorsque viendra l’hiver. C’est la seule solution. |


Mais ils ne la faisaient pas plus avec les vivants, ce qui pour le coup était assez inquiétant. J’essayais de détendre l’atmosphère, que l’on se sente un peu moins pris à la gorge par les événements. Je souris innocemment quand ma « belle fille » se ficha gentiment de ma tronche. Je confirmais cependant mes arrières-pensées d’un signe de tête. Je n’aime pas beaucoup plus le ton de mon rejeton quand il me remercie. Mais je n’ai pas trop le choix, je m’en contente et me tais. Ca ne me plaît pas, tant pis. On ne peut pas refaire le monde quand celui-ci part aussi fort en sucette ! Au moins, le fils me soutient.


| C’est bien ça l’idée, oui. On peut pas survivre tout seul, y’a trop d’infectés dans les parages. |


Quand mon fils me conseille d ene pas faire de connerie, c’est plus fort que moi mon regard rencontre celui de Beth, mais je détourne les yeux presque aussi vite. Putain, faut que ça cesse.


| Je ferais rien de mal, tu me connais. Bon allez les jeunes, moi j’vous laisse en amoureux. Vous éloignez pas. Au moindre pépin cette nuit, on se retrouve à l’entrée, ok ? De toute façon, je ne dormirai que d’un œil. |

Attendre. Attendre de voir comment les choses vont évoluer. Ce que demain nous réserve. Attendre, encore attendre. Je ne demandais rien d'autre, car il n'y avait rien d'autre à demander. Demain ne sera sûrement pas mieux qu'aujourd'hui ; je sais que je dois déjà me satisfaire de ce que j'ai. Je suis en vie, bien que je ne sois plus sûre d'aimer cette vie. Pas de blessure physique grave, le reste est à voir. On a de quoi se nourrir. On ne meurt pas de faim, non. Même si je n'ai aucune confiance en ces gens, pour l'instant ils assurent notre protection. J'ai Ryan. Oui, je suppose que je dois m'estimer satisfaite. Je n'aurai pas plus demain. Soit j'aurai autant, soit... j'aurai moins. Mais je ne peux pas arrêter de me faire du soucis, pas simplement tenter de profiter de ce que j'ai. Je ne veux pas le perdre. J'ai déjà l'impression d'avoir tant perdu... Toute ma vie. Mes perspectives. Mes projets. Je ne sais pas de quoi sont réellement capable ces gens qui relient tout ce bordel avec Dieu. Je ne sais plus de quoi sont les gens aujourd'hui ; je découvre à peine de quoi je suis moi même capable... Alors d'autres, qui me font plus penser à des malades religieux qu'à autre chose ? Je ne suis pas spécialement croyante, encore moins pratiquante. Je n'ai jamais eu besoin de croire en quelque chose, à part en moi même et en mes capacités, qui auraient pu me conduire loin. Maintenant... Ma seule capacité qui me serve encore à quelque chose est celle qui me dégoutte le plus : tuer. Pas question de partir, bien sûr, pour l'instant... Mais je ne me sens pas non plus super à l'aise pour autant. Bref. Les tentatives de Jack pour nous débrider un peu ne me mettent pas non plus à l'aise, d'ailleurs. Ca marche un peu. Pas trop. J'ai toujours peur de ce regard. Je crois toujours déceler des allusions à notre erreur de l'autre jour.  J'acquiesce. Non, on ne peut pas survivre seul, il y a bien trop d'infectés.

« Je sais. On a vraiment eu de la chance de vous avoir. Zack aurait sûrement eu raison de nous, sinon. »

Je ne pouvais nier cela. Je le respectais, et je lui devais beaucoup... Je lui devais la vie. Je devais la vie à Ryan, aussi. Survivre, c'est le faire ensemble. Séparé, isolé, il n'y a pas d'espoir. Ou presque pas. Pas pour moi, en tout cas. Seule, je n'ai en fait plus de raison de vivre. Ma reconnaissance n'empêche pas que voilà, je ne peux pas le regarder en face. C'est regarder mon idiotie, ma honte, ma chute. Je reste contre Ryan, préférant me tourner vers lui, penser à lui, plutôt qu'à Jack. Je ne veux même pas savoir ce qu'il en pense, lui. Il faudrait oublier ça, si seulement c'était possible... Je réalise à peine ses paroles suivantes. Il parle de nous laisser. J'acquiesce à nouveau. A l'entrée au moindre problème.

« Ca marche. Je pense qu'on ne dormira pas beaucoup plus que vous... »

Je sais que je peux paraître ingrat, limite hostile. Je sais tout ce qu’il a fait pour nous, je sais qu’on a plus que de la chance, Beth et moi, de l’avoir. Et même ces fanatiques, on n’aurait pas pu tomber mieux sur le coup. Ils ont des armes, de la nourriture, un lieu relativement sécurisé.
Oui, on a de la chance.
Pourquoi je me prends la tête alors ? Parce que ces tarés me font peur. Qu’ils ne fassent pas la fine bouche et n’hésitent pas à tuer les zacks, c’est une bonne chose. Mais leur fanatisme est tel que ça en devient effrayant. Au final, je ne sais pas trop si je devrais protéger Beth d’eux ou des zacks. Et avoir des dangers potentiels tout autour n’est pas fait pour me rassurer. Mais oui. On a de la chance.
On profite. Seuls, c’est beaucoup trop dangereux.

Et oui, on avait prévu d’aller plus loin au nord encore. Mais, serait-ce suffisant ? Nous, on se les gèlera, mais les zacks eux ? Rien n’est moins sûr. Mais on n’a pas d’autre plan et c’est pas faute d’y avoir réfléchi.
En attendant, on reste à l’abri, abri tout relatif par les temps qui courent. Mais c’est toujours mieux que d’être dehors comme on l’était, sans bouffe, sans rien. J’ai l’impression de ressasser toujours la même chose, c’est fatiguant. J’hoche la tête aux paroles de Jack et Beth.

Je le connais oui. Je sais qu’il ne fera pas de conneries… Pourtant… Je secoue la tête. Non. Tout va bien.

« Oui. A l’entrée au moindre souci ça marche. »

Je le regarde s’éloigner, la main de Beth toujours dans la mienne. Il faudrait pourtant qu’elle dorme. Je sais que ce n’est pas le cas, mais elle en a besoin. Moi, je tiens. Et c’est secondaire. J’embrasse Beth sur le front et la prends dans mes bras, passant ma main dans ses cheveux. Je ne sais pas quoi faire de plus. Alors comme d’hab, je vais me contenter d’être là. Même si ça me fait rager de ne pas faire plus. Je relève doucement son visage et l’embrasse.

« Allez viens, on va se reposer un peu. »

Ouais. Juste être là. C’est presque insupportable de savoir qu’elle a besoin de plus et que je n’arrive pas à lui donner, à l’aider comme il le faudrait. Je l’entraîne malgré tout vers l’intérieur, elle a besoin de se reposer.