Charisma plia avec attention le sac de couchage, pressant fortement pour qu'il ne prenne pas trop de place dans son sac. Enfin celui de Rafaël. Rafaël qui était en train de s'entrainer a nouer des liens de cordes pour fabriquer des collets. Sans même s'en rendre compte, elle fixa ses doigts qui s'emmêlaient parfois. Elle n'était pas forcément plus douée que lui a ce niveau, mais elle avait apprit à faire ces nœuds là. Lui non. Disons que pour une fois, les rôles étaient inversés. Lorsqu'elle se rendit compte qu'elle le scrutait depuis 10 minutes, elle se secoua, reprenant son ouvrage en se mordant l'intérieur de la joue . Il fallait qu'elle se montre plus prudente mais parfois...Elle se perdait dans sa contemplation. C'était idiot n'est ce pas ? C'était quelque chose qui ne devrait pas la troubler, mais elle avait beau se raisonner, rien n'y faisait. Elle n'arrivait pas a endiguer ses pensées, elle n'arrivait pas non plus a faire taire le désir vicieux qui la parcourait parfois, sans qu'elle ne s'y attende. Au moment où elle était le plus vulnérable, au moment où ses pensées s'échappaient. Ca faisait mal. Toujours aussi mal. Elle avait espéré que le temps effriterait sa folie mais ce n'était pas le cas. Bien au contraire. Elle se sentait dévorée de l'intérieur et ne pouvait rien y faire. Elle n'osait plus dormir avec lui et il y avait dorénavant une retenue étrange de sa part. Elle savait que cela l'intriguait mais elle ne pourrait jamais lui en donner les raisons.

Doucement mais sûrement elle s'émancipait de lui. Pour lui même. Alors maintenant, il était sans doute temps qu'elle fasse encore un pas. Elle se faisait peur et plus le temps passait, plus elle craignait de ne plus arriver à tenir la bride à sa perversion. Elle inspira profondément et n'osa lever les yeux sur lui lorsqu'elle prit la parole:

« Tu sais...J'ai beaucoup réfléchit depuis que tu as été malade...Je veux dire...J'ai pris conscience de ce que je t'infligeais depuis des mois... »

Elle déglutit :

« Je me dis que, peut être...On pourrait rejoindre un groupe. Je sais que j'ai toujours refusé jusqu'à présent mais plus le temps passe... »

Plus son cœur mourrait. A petit feu. Combien de temps avant qu'elle ne cède ? Elle ne pouvait pas lui faire ça. Elle ne le ferait jamais, elle le devait. Pour lui.  Elle devait au moins le protéger d'elle même et quoi de mieux qu'un groupe hein ? Cela lui déchirait l'âme mais elle n'avait pas le choix.

« Philippe m'a proposé de nous accueillir...Tu te souviens peut être de lui. C'était il y a longtemps, j'avais accompagné un reporter en France...Enfin bref, je ne sais pas comment mais...Je l'ai revu il n'y a pas longtemps et il m'a dit que si nous le voulions on serait les bienvenues...Qu'est ce que tu en pense ? »

Là, seulement, elle s'obligea a lever les yeux sur lui.

Charisma se mordilla nerveusement la lèvre face aux questions de son frère. Elle hésitait à lui dire dans quelles circonstances elle avait retrouvé Philippe. Nul doute que Rafaël allait lui passer un savon si il savait qu'elle était sortie seule et qu'elle s'était retrouvée tétanisée par une crise d'angoisse. Elle était tombé sur Philippe mais ça aurait pu être bien pire.

"Je voulais t'en parler mais...Tu es tombé malade et ça m'est sortit de l'esprit."

Se contenta-t-elle finalement de dire. Ce n'était pas la peine de l'inquiéter inutilement et il le ferait sans aucun doute. Elle soupira doucement, se concentrant sur la fermeture du sac, incapable de suporter plus longtemps l'éclat sombre des prunelles de son frère. C'était pathétique. Ca devenait totalement pitoyable. Devrait elle couper les liens qu'elle avait avec lui ? Sans doute était ce la meilleure solution, mais Charisma savait qu'elle en serait incapable. Elle se sentait lentement étouffer, prise entre un amour totalement vicié et un désir tout aussi puissant de le protéger de tout. Elle regrettait l'inconscience du passé, lorsqu'un brouillard opaque occultait ce qui dormait en elle depuis longtemps. Un instant de folie avait déchiré le voile irrémédiablement et elle ne pourrait pas revenir en arrière. Elle n'arrivait pas a effacer de sa mémoire et de son corps l'empreinte de son frère. Pas plus qu'elle ne pouvait oublier sa propre honte.

Elle tira fermement sur les liens du sac, prenant le temps de trouver les mots pour répondre le plus clairement possible a Rafaël.

"Il m'a dit qu'ils étaient pour la plupart d'anciens flics ou militaires. Comme lui d'ailleurs. Il était flic en France c'est comme ça que je l'ai connu à l'époque. j'ai suivi sa brigade pendant un mois...Bref ! Il y a des enfants au milieu du groupe d'ailleurs, il m'a dit qu'il me trouverait quelque chose à faire si je ne pouvais vraiment pas...-Elle haussa les épaules - Enfin tu sais. Je ne suis pas comme toi, a pouvoir partir en exploration ou trouver à manger quoi. Je me dis que je pourrais être plus utile en...Je sais pas, m'occupant du linge ou des trucs comme ça. Philippe m'a dit qu'ils n'étaient pas tous des saints, c'était certain, mais qu'ils s'entraidaidant pour survivre dans tous ce foutoir."

Quand elle se fut assuré pour la centième fois que le sac était bien fait, elle se redressa, étirant ses jambes un peu ankylosées d'être resté pliées durant un moment. Elle alla s'assoir en face de son frère, lui prenant la corde des mains pour rectifier son noeud. Cela l'occupait et lui évitait de devoir affronter son regard.

"Je me suis dit que tu y trouverais ta place, je veux dire, tu es ingénieux, débrouillard...Et tu n'auras pas a toujours t'inquiéter pour moi puisque je ne serais jamais seule. Mes phobies ne disparaitrons pas du jour au lendemain, j'en suis consciente...Mais on ne peut pas continuer comme ça. Ca fait des semaines que tu me le dis d'ailleurs et jusqu'à présent, j'ai toujours fait la sourd d'oreille...Alors que tu avais raison."

Le noeud fait, elle n'avait plus le choix hein ? Levant les yeux, elle esquissa un sourire un peu timide. Un pincement violent lui tordit le coeur, comme à chaque fois qu'elle plongeait des les iris sombres de son frère. Mélange d'amour, de désir pervertit, de dégout et de honte. Un pincement qui la tuait à petit feu.

Charisma jeta un coup d'oeil incertain à son frère, hésitante quant à la raison de son ironie soudaine. Oh elle savait queça ne lui plaisait pas mais il était rare qu'il lui laisse entrevoir un sentiment négatif. Elle préféra ne pas relever. Continuant sur sa lancée tout en essayant désespérement d'oublier les raisons du pourquoi elle le faisait. Autant s'avouer vaincue d'avance, elle n'y arriverait jamais. Ni cette douleur, ni cette honte ne disparaitrait, autant apprendre à vivre avec...Enfin si c'était possible et plus le temps passait plus elle en doutait. Mais peu lui importait tant que lui ne souffrait pas du dégout et de la honte, ça lui allait.

Elle fini par s'installer en face de lui, déchirée entre le besoin de le garder loin d'elle et l'envie de l'avoir prêt d'elle. C'était cette ambivalence qui la rongeait de l'intérieur, alimentant les sentiments controversés qui la brulait. Mais elle chassa ses pensées là, avec un peu de mal, pour pouvoir convaincre son frère qu'elle leur avait trouvé une sorte de refuge. Elle n'était pas sûre que Rafaël lui suive parce que jusqu'ici, on ne pouvait pas dire qu'elle avait fait preuve d'un jugement sûr. Son frère leva une main. Surprise, Charisma amorça un léger mouvement de recul avant de l'avorter et de le laisser la toucher. Elle sourit avec un peu de difficulté lorsqu'il lui baisa le front, un geste auquel elle ne se força qu'a voir l'innocence. Un geste qu'il avait toujours fait depuis qu'ils étaient enfants, tellement familier, il ne l'avait jamais blessé jusqu'a présent...

"Je n'avouerais qu'en présence de mon avocat."

Plaisanta-t-elle pour cacher un soupir lorsqu'il la lâcha, provoquant soulagement comme déception. Bon sang, ses ascenceurs émotionnels devenaient de plus en plus instables...Elle avait bien du mal à les contrôler mais elle n'avait pas le choix. Elle hocha la tête :

"Oui, dans une moindre mesure, mais il ne m'aurait rien proposé si il ne l'avait voulu. Il est plutôt brut de décoffrage mais...Pas menteur, enfin je crois pas, il ne m'a jamais donné cette impression. Mais tu te feras ta propre opinion."

Bon elle ne lui précisa pas qu'il avait surtout eu l'air de lui proposer cette solution de mauvaise grâce hein, si Rafaël parait avec un a priori...

"Je ne peux pas passer ma vie à avoir peur, tu le sais aussi bien que moi, Rafaël."

Soupira-t-elle en essuyant ses paumes moites sur son jean. Finalement, il n'avait pas été si difficile a convaincre, constata-t-elle à sa grande surprise.

Charisma sourit légèrement :

« Très long, tu as assez de défaut sans y rajouter l'arrogance et l'égocentrisme. »

Plaisanta-t-elle doucement. Mais là était des défauts que Rafaël n'avait jamais eu. Il était impulsif, souvent têtu et il était capable de s'emporter facilement si tant est que l'on savait où le frapper, mais jamais il n'avait fait preuve d'arrogance ou de supériorité. En même temps, ils avaient parcourut des pays ravagés par la guerre ou la famine, de quoi vous ramener sur terre et de conserver une humilité certaine. Il avait son franc parler aussi, en ça, il risquait de se heurter à Philippe mais aussi de bien s'entendre avec lui. Elle ne lui cacha pas pour autant ne pas le connaître aussi bien qu'elle le voudrait. Après tout leur rencontre datait d'une paire d'année et depuis la pandémie beaucoup de monde avait changé, elle la première. Elle se demandait si il avait reconnu la photographe frondeuse et adepte des réparties percutantes dans l'ombre qu'elle étai devenue. Elle préférait ne pas y penser, c'était déjà assez difficile pour elle de s'accepter ainsi.

« Je ne crois pas que le mot hypocrite fasse partit de son vocabulaire, je me souviens qu'il n'avait pas hésité a me dire ce qu'il pensait des photographes américains prêt a tout pour un scoop, ni à me menacer d'un bon coup de pieds aux fesses et d'un retour fissa a Washington si je me collais dans ses pattes. Ca, je crois que ça n'a pas changé. »

Ce qui, à l'époque, l'avait fait rire. Elle ne l'avait jamais craint de toute façon. Mais elle savait aussi être professionnelle et avait mit un point d'honneur à ne pas gêner les enquêtes des policiers français. Cela étant même si l'idée en elle même était bonne, Charisma savait qu'il lui faudrait déployer des trésors de contrôle de soi pour pouvoir vivre parmi tant d'inconnu. Elle en était consciente mais elle savait aussi qu'elle ne pouvait pas continuer comme ça. Une espèce de lassitude traversa le regard de son frère et elle se mordit la lèvre de culpabilité. Il avait tant supporté pour elle.

« Je sais... »

Elle lui sourit doucement avant de hocher la tête.

« Oui, il m'a donné rendez vous dans 2 jours à un croisement. Je crois qu'ils s'apprêtent à lever le camp, donc c'est à nous de choisir soit on les suit, soit on reste ici sans vraiment savoir ce qui nous attend. »

Conclut-elle avant de reprendre avec précaution :

« Mais je sais pas si tu es assez remis pour pouvoir te déplacer sur une longue distance. Philippe ne m'a pas dit où ils comptaient se rendre m, par prudence sans doute, mais à tous les coups c'est assez loin. »

Elle aurait aimé poser sa paume sur sa joue, mais s'en abstint. Par peur. Elle avait toujours peur dorénavant. Mais elle ne le lui montrerait jamais cette peur là.

Son rire était encore bien timide, mais il savait naître grâce à son frère. Non, elle ne l'imaginait pas arrogant, ni rien d'approchant. Sans doute qu'elle ne l'aurait pas laissé développer un tel travers non plus d'ailleurs.

« Heureusement, je pense que je ne t'aurais pas supporté longtemps. »

fit elle avec une petite moue sceptique. Mais le ton plaisantin fit place à quelque chose de bien plus sérieux alors qu'elle s'ouvrait à lui de la proposition de Philippe. Elle ne se leurrait pas non plus hein, elle savait pertinemment que ce ne serait pas facile pour elle, comme elle se doutait qu'au moindre faux pas, l'ex flic n'hésiterait pas plus à la virer. Mais en soupesant les pour et les contres, elle devait admettre que c'était le mieux pour le moment. Rafaël pouvait très bien s'entendre avec le français. Comme le contraire mais elle penchait beaucoup plus pour l'entente. Ils avaient besoin de s'entourer, elle avait besoin des autres entre elle et lui. Bien sûr, elle ne lui donnerait jamais la raison profonde de son revirement. Peut être qu'il penserait qu'elle avait enfin décidé d'avancer seule ou autre chose. C'était mieux ainsi. Elle sourie lorsqu'il lui dit voir un peu le genre de Philippe. D'autant plus qu'outre Philippe, elle s'était liée avec Eva. C'était un curieux hasard mais elle ne pouvait que le remercier d'une certaine façon. Mais elle s'inquiéta tout de même de l'état de santé de son frère. Il se remettait à peine, il était encore pâle et dormait plus que d'ordinaire. Heureusement, ils avaient pu placer d'autres pièges. Il la rassura évidemment mais tout de même...

« Si tu le dis...Mais je vais veillez a ce que tu te repose correctement quand même. »

Elle pencha légèrement la tête pour regarder ses mains et remarqua à quel point ses doigts s'étaient noués les uns au autres, comme pour s'empêcher des gestes trop ambiguës. C'était pathétique. Elle inspira discrètement, profondément avant de reprendre pieds dans la conversation.

« Je pense pas que ce soit le pire groupe qu'on puisse trouver. Ce sera certainement pas tout rose mais on pourra se reposer un peu sur les autres. Et oui on pourra toujours s'en aller si ça va pas, mais honnêtement, je pense pas que ça se passera mal et puis du moment qu'on reste ensemble, moi ça me va. »

Parce qu'elle ne pourrait jamais se séparer de lui, même pour son propre bien. C'était égoïste, elle le savait, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Vivre sans lui n'était pas envisageable alors même que c'était la plus sûre façon de le protéger d'elle. Pour un peu, elle en aurait eu un rire cynique. Finalement, elle se leva et s'approcha de l'âtre qu'ils avaient montés avec les moyens du bords. Sur les cendres encore chaude, il y avait la vieille casserole avec des restes de pintade capturée la veille.

« D'ailleurs on va commencer ta remise en forme dès maintenant, tu as faim ? »

Une ombre douloureuse passa dans les iris claires de Charisma alors que son frère se réjouissait. Dévouée ? L'avait elle réellement été ? L'avait été en abusant de lui ? En satisfaisant son désir malsain ? L'avait elle vraiment été en le salissant ? Non, bien sur que non. Et elle n'avait que cruellement conscience. Elle esquissa malgré tout un faible sourire. Il n'en gardait aucun souvenir apparement et elle veillerait à ce que cela reste ainsi, quitte a se mutiler d'une partie d'elle pour ce faire. Elle reprit pied dans la conversation en l'informant sur le groupe qu'elle comptait leur faire rejoindre. Oh elle n'était pas naïve a croire que tout irait bien, même si elle s'entendait bien avec Eva ou même Philippe, elle se savait fragile. Elle ne serait pas une pierre angulaire cela était certain mais elle éviterait d'être inutile, l'ex flic avait été assez clair sur le sujet, même si il prendrait en compte ses phobies, il n'était pas question qu'elle reste sans rien faire. Charisma était d'accord avec le fond mais elle doutait d'elle même. Qu'importe du moment que son frère était en sécurité, le reste n'avait pas d'importance.

"Oui, je sais, de toute façon je n'aime pas les conflits et puis on sera les petits nouveaux, ce n'est jamais évident."

mais elle espérait que cela irait. Parce qu'ils en avaient besoin, cela faisait trois mois voir plus qu'ils erraient exclusivement tout les deux. Charisma ne s'en était jamais plainte avant. Elle avait même tout fait pour que cela demeure ainsi, consciente qu'elle ne pouvait rien faire sans son frère, qu'elle n'en avait plus la force. Et encore, il avait réussit a la sortir de la léthargie qui l'avait prise au tout début. Mais il était arrivé au bout de ses ressources et elle...Elle, elle était folle et malsaine tout simplement. Elle ne pouvait même pas en accuser la pandémie, parce qu'elle savait que ça avait toujours couvé en elle, étouffé par les règles morales, par les valeurs inculquées. Mais en trois mois le monde s'était éffondré. il n'y avait plus de règles, plus de garde fou. Elle avait été fragilisée, elle avait été terrifiée par l'idée de le perdre...Elle avait sombré sans même s'en rendre compte, elle en payait désormais le prix fort, c'était ainsi.

Elle trouva une échappatoire a ses pensées lacinantes, s'occupant en réchauffant la prise d'hier, souriant devant la faim de son frère. C'était de bon augure et elle veillerait a ce qu'il ai les meilleurs morceaux évidemment. Sa cuillière cabossée glissa dans le fond lorsqu'il lui posa des questions sur sa rencontre avec Philippe. Si elle avait pu penser qu'il avait oublié, elle en fut pour ses frais.

"Ben en fait, il m'a prise pour un zombie...Tu sais comment je me déplace quand je suis seule...Enfin bref, tout ce que j'ai vu fut la gueule noire de son arme."

Elle préférait passer sous silence le fait qu'elle était en pleine crise d'angoisse, biaisant lorsqu'elle ajouta :

"J'étais a deux doigts de faire une crise, je ne savais pas où tu étais et c'était tellement...vide, et puis je l'ai reconnu. J'ai toujours été physionomiste et lui, je me souvenais parfaitement de son visage, même si il avait changé bien sûr, il avait toujours cet éclat dans les yeux qui m'avait tant plut en France. C'est bizarre que tu ne t'en souvienne pas, tu m'avais charrié quand je suis revenue. Tu m'avais aidé a développer les photos et tu as cru que j'avais eu une liaison avec lui tellement il y avait de clichés de lui."

Elle sourit avec un rien d'amusement à ce souvenir. Elle avait bien eu du mal à convaincre son frère que non. Il ne s'était jamais rien passé entre eux, mais il lui était difficile d'expliquer la fascination toute artistique qu'elle pouvait avoir pour quelqu'un sans que l'on se méprenne.

"Lui par contre...Il a eu du mal à me remettre. Ce n'est que quand je lui ai parlé français qu'il a tilté. On a discuté c'est vrai et il ne s'est d'ailleurs pas gêné pour me faire remarquer que ce que je faisais était dangereux. Autant pour moi que pour les autres. Je suis sortie sans rien..."

Rafaël allait lui passer un savon...Elle soupira doucement touillant la viande.

"Je dois dire qu'il est toujours aussi subtile et diplomate dans ses mots..."

ironisa-t-elle en attendant de se prendre un orage sur le coin du nez.

Charisma ne prêta pas vraiment attention à l'intonation de son frère, un peu trop sérieuse pour ce souvenir qui l'était tout de même moins. Charisma s'en souvenait avec un certain amusement. Le français était certes séduisant et bien fait de sa personne, mais ce n'était pas ce qui avait plut à l'américaine. D'ailleurs c'était plus son coté artiste qui avait été attiré que la femme. Non ses pensées étaient plus concentrées sur l'orage qu'elle allait essuyé en continuant ses explications. Et cela ne rata pas. Charisma avait beau le savoir, cela ne l'empêcha pas de sursauter, laissant échapper la cuillière qui vint lui bruler la main. La douleur lui arracha un sifflement et une étincelle de colère traversa brièvement ses iris lorsqu'elle les leva sur son frère. Une colère qui avait totalement disparue lorsqu'elle répondit, en s'excusant presque. Enfin non pas presque, elle s'en voulait c'était certain.

"Je n'étais pas très loin..."

Mais cela ne changeait rien au fait qu'elle n'avait prit aucune précaution. Obnubilée par cet espèce de défi ridicule qu'elle s'était elle même lancé. C'était stupide. Philippe avait été assez clair sur le sujet et il n'usait pas des mêmes précautions que Rafaël lorsqu'il lui parlait. Cela étant elle jugea préférable de ne pas enfoncer le clou en lui disant qu'elle n'y avait tout simplement pas penser. Il risquait de la secouer comme un prunier. Ces mots étaient justifiés, mais Charisma les trouva particulièrement blessant...ou alors elle avait tellement l'habitue qu'il la couve qu'elle avait oublié ce que c'était que de l'affronter. Avant elle n'aurait pas hésité à lui rentrer dedans en arguant qu'elle était assez grande pour savoir ce qu'elle faisait et qu'elle n'avait pas besoin de leçon de moral pour savoir qu'elle avait fait une connerie et qu'il était inutil qu'il en rajoute une couche, surtout qu'il n'était pas le dernier non plus.

Mais rien ne vint, ni l'agacement qui allait de paire avec ce genre de propos, ni l'envie. Elle se contenta de baisser légèrement les yeux sur le dos de sa main où s'étalait déjà une tache rosée. Soupirant, elle ôta la casserolle du feu et servit une assiette généreuse à son frère. Elle n'avait plus faim finalement. En silence, elle la lui déposa sous le nez.

"Au lieu de me hurler dessus, mange."

Finit elle par dire sans même se rendre compte du léger énervement qui transperçait sa voix tant son esprit était torturé d'avoir, encore une fois, déçu son frère. A croire qu'elle n'était capable que de ça. Une migraine pointait déjà le bout de son nez, songea-t-elle en se massant légèrement la tempe droite, allant s'installer avec une paire de corde en tailleur sur le sol, au milieu de leur paquetage. Avait elle seulement conscience qu'on avait l'impression qu'elle boudait ? Sans doute pas, parce que ce n'était jamais récurrent chez elle. Elle préférait affronter pied à pied plutot que bouder seule dans son coin. Mais là, elle avait besoin de faire le point, aussi se fermait elle inconsciemment.

Charisma ferma un instant les yeux. Elle ne savait plus ce qu'elle devait ressentir, enfin plus vraiment. Alors oui elle avait fait une erreur et elle était assez grande pour s'en rendre compte par elle même. L'idée d'avoir blessé son frère la faisait assez souffrir sans qu'il n'ai besoin d'en rajouter. Elle lui colla son assiette sous le nez.

« C'est pourtant ce que tu fais à chaque fois! Ca suffit Raf, je suis assez grande pour me rendre moi même compte de mes conneries, j'ai pas besoin que t'en rajoute, c'est clair!? »

Surprise, elle cligna subitement des paupières. Hein ? C'était bien la première fois qu'elle haussait le ton depuis des mois devant son frère. A cause de lui même. Figée, elle le regarda avant de soupirer doucement. L'éclat fut aussi bref qu'intense. Il s'était déjà enfuit, la laissant lasse et épuisée. Étrangement. Elle se ferma et alla s’asseoir plus loin, tripotant des bouts de cordages sans réellement s'en rendre compte. Elle regretta de s'être emportée même. C'était normal que Rafaël lui en veuille. Elle avait prit des risques inconsidérés, idiots même serait le terme le plus approprié.

Elle ne réagit qu'à peine à la présence de son frère prêt d'elle, même si elle en était viscéralement consciente. Vicieusement consciente. Elle le laissa prendre sa main et haussa une épaule.

« C'est pas grave. Ca ne me fait même plus mal. »

Lui retirant ses doigts, elle les reporta sur ses cordelettes. Elle aimait tellement qu'il la touche, tout en sachant qu'elle n'aurait jamais dût aimer cela. Elle se détestait, elle haïssait le frisson qui la parcourait, haïssait la petite voix qui lui murmurait que c'était tellement bon. Que c'était pas grave que c'était ce qu'elle voulait.

« Philippe n'est pas le pire choix du monde, même si, autant te le dire, je suis pas sûre qu'il me fasse confiance, enfin qu'il me trouve fiable. Mais toi, je sais que tu trouveras ta place sans problème. Je ferais comme d'habitude, je suivrais. »

Reprit elle en écartant d'elle le sujet qui fâche. Encore stupéfaite d'avoir hausser la voix comme ça. Ce ne lui ressemblait pas. Enfin ça ne lui ressemblait plus du moins. Cela faisait des mois qu'elle ne s'était plus mise en colère, subissant sans rien dire. Jamais.

Charisme lui lança un regard noir et sa bouche prit un pli frondeur :

« Tu n'es pas quoi Raf ?! »

Oh elle savait. Elle devinait la suite sans problème. Mais jusqu'à présent Rafaël n'en avait jamais fait mention. Finalement, la lassitude prit le pas sur sa colère.

« Ah laisse tomber. »

Elle se ferma, comme elle savait si bien le faire depuis la pandémie. Elle se laissait facilement entraînée dans le silence, trop au goût de son frère sans aucun doute. Elle se laissa choir dans un coin, préférant porter son attention sur des bouts de cordages qu'elle regardait même pas vraiment. Quand son frère se porta à sa hauteur, elle frissonna. Dieu comme elle aimerait ne plus ressentir ça en le voyant ou en le sentant prêt d'elle...Revenir a avant...Quand elle était encore aveugle et idiote. Mais c'était trop tard. Elle avait même peur qu'il la touche, peur d'y céder tant elle y aspirait, tant elle le voulait. Elle lui retira sa main, sa peau la picotait et elle se détesta. Elle hocha la tête lorsqu'il clos le débat, ou plutôt l'absence de débat en fait. Il s'était contenté de l'engueuler...Mais c'était vrai qu'elle l'avait bien cherché.

Esquissant un léger sourire, elle releva les yeux sur le visage de son frère. C'était vrai, avant elle ne se contentait pas de suivre sans rien dire. Elle savait se faire entendre, elle avait un sale caractère et ne s'en cachait pas.

« Si...Je te suivais toujours...Ca n'a guère changé faut croire. »

Elle repoussa ses cheveux derrière ses oreilles en reprenant le sujet de Philippe. Rafaël lui promit que ça irait, du moins il espérait que ça l'aiderait elle. Charisma retint un rire ironique. Ce n'était pas elle que ça aiderait. Ce n'était pas elle que ça sauverait. Mais qui sait, elle voulait croire dans les mots de son frère. Et elle allait lui mentir :

« Promis. Mais y a pas de raison que ça n'aille pas. »

Et qu'elle veillerait a ce qu'il n'en sache rien. Elle ne savait pas quoi faire après, mais c'était un bon début non ? Même si ça la tuait lentement. Plutôt elle que lui. Toujours. Elle lui caressa la joue avant de fuir comme elle le faisait toujours dorénavant :

« Vas manger Raf, faut que tu reprenne des forces. »

Elle lui sourit et se releva. Etait elle condamnée a le fuir sans cesse ? C'était...Lamentable. Mais qu'importe tant que c'était pour lui.

Seulement, elle n'aurait jamais deviné dans quelles circonstances ils retrouveraient Philippe.